L’éloquent Manuel de vos mains auvergnates,
Comme l’Océan bout quand tressaille l’Etna,
Le peuple tout entier s’émut et frissonna ;
On vit, sombre lueur, poindre mil-huit-cent-trente ;
L’antique royauté, fière et récalcitrante,
Chancela sur son trône, et dans ce noir moment
On sentit commencer ce vaste écroulement ;
Et ces rois, qu’on punit d’oser toucher un homme,
Etaient grands, et mêlés à notre histoire, en somme ;
Ils avaient derrière eux des siècles éblouis,
Henri quatre et Coutras, Damiette et Saint Louis.
Aujourd’hui, dans Paris, un prince de la pègre,
Un pied plat, copiant Faustin, singe d’un nègre,
Plus faux qu’Ali Pacha, plus cruel que Rosas,
Fourre en prison la loi, met la gloire à Mazas,
Chasse l’honneur, le droit, les probités punies,
Orateurs, généraux, représentants, génies,
Les meilleurs serviteurs du siècle et de l’Etat,
Et c’est tout ! et le peuple, après cet attentat,
Souffleté mille fois sur ces faces illustres,
Va voir de l’Élysée étinceler les lustres,
Ne sent rien sur sa joue et contemple César !
Lui, souverain, il suit en esclave le char !
Il regarde danser dans le Louvre les maîtres,
Ces immondes faisant vis-à-vis à ces traîtres,
La fraude en grand habit, le meurtre en apparat,
Et le ventre Berger près du ventre Murat !
On dit : – Vivons ! adieu grandeur gloire, espérance !
Comme si. dans ce monde, un peuple appelé France
Alors qu’il n’est plus libre, était encor vivant !
On boit, on mange, on dort, on achète et l’on vend,
Et l’on vote, en riant des doubles fonds de l’urne ;
Et pendant ce temps-là, ce gredin taciturne,
Ce chacal à son sang froid, ce corse hollandais,
Étale, front d’airain, son crime sous le dais,
Gorge d’or et de vin sa bande scélérate,
S’accoude sur la nappe, et cuvant, noir pirate,
Son guet-apens français, son guet-apens romain,
Mâche son cure-dent taché de sang humain !
Les châtiments Livre IV
Victor Hugo