Vespérales
I
Comme sont morts les preux, dans la gloire et le sang,
Au soir du jour frappés au coeur d’un fer puissant,
Le soleil, chevalier bardé d’or qui s’irise,
Dans le champ de l’azur, tout sanglant, agonise.
De son sein, à longs flots jaillit la pourpre en feu,
Qui coule, se propage et s’épand dans le bleu
Comme un golfe profond que le soir violette,
En avançant à pas lents d’ombre qui halète.
Tout là-bas, un petit nuage rose court,
Flocon que fouette un vent dans le ciel qu’il parcourt ;
Tandis qu’à l’Occident s’efface la féerie,
La nuit sur elle ayant tire sa draperie…
II
C’est le soir. Au jardin nulle aile ne voltige.
Chaque fleur endormie est droite sur sa tige.
Les grillons sont muets, sous les herbes tapis,
Et les vents fatigués semblent tous assoupis.
Même la brise au souffle à peine perceptible
Qui fait frémir la feuille à la branche flexible,
Sommeille, et l’onde fraîche est tranquille au bassin
Où le jour les oiseaux vont boire, par essaim.
Précédant le lever des étoiles, la lune
Apparaît pleine et pâle au fond de l’ombre brune,
Et du calme jardin qui soudainement luit,
Un lent parfum s’élève et plane dans la nuit.
L’âme solitaire
Albert Lozeau