XXXIX
Louise, qui avait été achever à Paris l’éducation de son fils, fut invitée alors à venir se fixer auprès de ses fidèles amis. Valentin venait d’être reçu médecin. On l’engageait à se fixer dans le pays, où M. Faure, devenu trop vieux pour exercer, lui léguait avec empressement sa clientèle.
Louise et son fils revinrent donc, et trouvèrent chez cette honnête famille l’accueil le plus sincère et le plus tendre. Ce fut une triste consolation pour eux que d’habiter le pavillon. Pendant cette longue absence, le jeune Valentin était devenu un homme; sa beauté, son instruction, sa modestie, ses nobles qualités, lui gagnaient l’estime et l’affection des plus récalcitrants sur l’article de la naissance. Cependant il portait bien légitimement le nom de Raimbault. Madame Lhéry ne l’oubliait pas, et disait tout bas à son mari que c’était peu d’être propriétaire si l’on n’était seigneur; ce qui signifiait, en d’autres termes, qu’il ne manquait plus à leur fille que le nom de leurs anciens maîtres. M. Lhéry trouvait le jeune médecin bien jeune.
—Eh ! disait la mère Lhéry, notre Athénaïs l’est bien aussi. Est-ce que nous ne sommes pas de la même âge, toi et moi ? Est-ce que nous en avons été moins heureux pour ça ?
Le père Lhéry était plus positif que sa femme; il disait que l’argent attire l’argent; que sa fille était un assez beau parti pour prétendre non-seulement à un noble, mais encore à un riche propriétaire. Il fallut céder, car l’ancienne inclination de madame Blutty se réveilla avec une intensité nouvelle en retrouvant son jeune écolier si grand et si perfectionné. Louise hésita; Valentin, partagé entre son amour et sa fierté, se laissa pourtant convaincre par les brûlants regards de la belle veuve. Athénaïs devint sa femme.
Elle ne put pas résister à la démangeaison de se faire annoncer dans les salons aristocratiques des environs sous le titre de comtesse de Raimbault. Les voisins en firent des gorges chaudes, les uns par mépris, les autres par envie. La vraie comtesse de Raimbault intenta à la nouvelle un procès pour ce fait; mais elle mourut, et personne ne songea plus à réclamer. Athénaïs était bonne, elle fut heureuse; son mari, doué de l’excellent caractère et de la haute raison de Valentine, l’a facilement dominée et corrigée doucement de beaucoup de ses travers. Ceux qui lui restent la rendent piquante et la font aimer comme le feraient des qualités, tant elle les reconnaît avec franchise.
La famille Lhéry est raillée dans le pays pour ses vanités et ses ridicules; cependant nul pauvre n’est rebuté à la porte du château, nul voisin n’y réclame vainement un service; on en rit par jalousie plutôt que par pitié. Si quelque ancien compagnon du vieux Lhéry lui adresse parfois une lourde épigramme sur son changement de fortune, Lhéry s’en console en voyant que la moindre avance de sa part est reçue avec orgueil et reconnaissance.
Louise se repose auprès de sa nouvelle famille de la triste carrière qu’elle a fournie. L’âge des passions a fui derrière elle; une teinte de mélancolie religieuse s’est répandue sur ses pensées de chaque jour. Sa plus grande joie est d’élever sa petite-fille blonde et blanche, qui perpétue le nom bien-aimé de Valentine, et qui rappelle à sa très-jeune grand’mère les premières années de cette sœur chérie. En passant devant le cimetière du village, le voyageur a vu souvent le bel enfant jouer aux pieds de Louise, et cueillir des primevères qui croissent sur la double tombe de Valentine et de Bénédict.
FIN DE VALENTINE.
Valentine
Un roman de George Sand