Toutes les muses glorieuses
N'ont pas au front le calme et la sérénité,
Et dans le choeur sacré de ces nobles chanteuses
Plus d'une grande voix sonne avec âpreté.
L'une épanche son âme en plaintes infernales,
Par les bois, et les monts, et les flots voyageurs ;
L'autre, frappant au seuil des demeures royales,
Des monarques tombés, des grands usurpateurs,
Chante les tragiques douleurs ;
Une troisième, enfin, la muse populaire,
Se plaît dans la vapeur des immenses cités ;
Tantôt sa voix grave et sévère
Gourmande le torrent des esprits révoltés,
Ou, bruyante comme un tonnerre,
Roule une marseillaise aux faubourgs irrités.
Lecteur ! Telle est la muse fière
Qui par un temps d'orage apparut à mes yeux,
Et que depuis ce jour dans les gouffres de pierre
Suivirent mes pas hasardeux.
Je sais qu'il en est de plus belles,
Dont le chant toujours plane aux voûtes éternelles ;
Mais j'aime cette muse à l'égal de ses soeurs :
Elle montre le bien aux âmes indociles,
Sans crainte elle s'abaisse aux choses les plus viles,
Et trouve quelquefois dans la fange des villes
À consoler les coeurs.
Or, j'ai voulu tenter une oeuvre austère,
Par la triple clameur d'un concert menaçant,
J'ai voulu détourner les enfants de la terre
Des noirs excès du temps présent.
Effort laborieux, peut-être téméraire !
Peut-être, hélas ! Ai-je entrepris
Plus que je ne voulais et plus que je ne puis !
Pourtant, si dans sa course impétueuse, ardente,
La muse fille des cités
Ne m'a pas toujours vu marcher à ses côtés,
Je me suis dirigé sur sa voix éclatante.
Malgré mon pas tardif, ô lecteur souverain !
J'ai toujours retenu dans mon coeur la maxime
Qui tombe si souvent de ses lèvres d'airain ;
Toujours je me suis dit : en ce monde incertain,
Quels que soient les partis qui commettent le crime,
En face de l'injure et du mal indompté,
Le poète doit être un protestant sublime
Du droit et de l'humanité.