Pour qui la foule chante et pour qui l’airain gronde.
Je ne célèbre pas les orgueilleux vainqueurs
Dont les drapeaux sanglants éblouissent le monde
Et laissent derrière eux d’éternelles rancœurs.
Non, je ne chante pas pour ceux que la victoire
Accompagne partout dans son vol souverain.
Non, je ne chante pas pour les preux dont l’Histoire
Va buriner les noms sur ses tables d’airain,
Et que nimbent déjà les rayons de la gloire.
Je fais vibrer mon luth pour les silencieux
Qui peinent sans repos, sans espoir, sans promesse,
Pour les humbles qui n’ont d’autre but que les cieux,
Pour les souffrants à qui l’arbre de la jeunesse
Hélas ! a refusé ses fruits délicieux.
Je fais vibrer mon luth pour tous ceux dont la tête
Blanchit dans des combats toujours infructueux.
J’admire ces vaincus, et, pendant que l’on fête
Les puissants, les cruels et les ambitieux,
Debout sur des débris, je chante leur défaite.
Pendant qu’un peuple acclame un fier triomphateur,
Pour ces blessés du sort tombés sur des ruines
Où n’arrive jamais un mot consolateur,
Agenouillé près d’eux, la main sur leurs poitrines,
J’entonne un requiem où frémit tout mon cœur.
Pendant que cent drapeaux, que la lumière inonde,
Font claquer dans le vent leurs larges plis soyeux,
A leur côté, perdu dans une nuit profonde,
Je leur dis : ― Ceux-là seuls seront victorieux
Qui sauront triompher toujours du vice immonde.
Je leur répète : ― Heureux les humbles, les déçus,
Qui des vertus ont pu se faire des refuges. ―
Et puis je leur demande : ― Où sont les vrais vaincus ?
Qui donc sont les vainqueurs ? Socrate ou bien ses juges ?
Les martyrs ou Néron ? Pilate ou bien Jésus ?
Non, je n’exalte pas le puissant à cette heure ;
Je chante pour celui que la vie a blessé,
Pour le déshérité que nul plaisir n’effleure ;
Je chante pour l’obscur et pour le délaissé,
Pour le conscrit qui tombe et l’exilé qui pleure.
Oui, je dis les douleurs, les deuils et les effrois.
Je chante pour tous ceux dont les mains sont sans tache,
Pour les peuples râlant sous le genou des rois,
Pour Colomb dans les fers, pour Chénier sous la hache,
Pour Jeanne à son bûcher, pour le Christ sur sa croix.
Les Aspirations
William Chapman