Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit,
Pourquoi mon coeur change de place
Comme un malade dans son lit !
Pourquoi mon errante pensée,
Comme une colombe blessée,
Ne se repose en aucun lieu,
Pourquoi j’ai détourné la vue
De cette terre ingrate et nue,
Et j’ai dit à la fin : Mon Dieu !
Comme un souffle d’un vent d’orage
Soulevant l’humble passereau
L’emporte au-dessus du nuage,
Loin du toit qui fut son berceau,
Sans même que son aile tremble,
L’aquilon le soutient ; il semble
Bercé sur les vagues des airs ;
Ainsi cette seule pensée
Emporta mon âme oppressée
Jusqu’à la source des éclairs !
C’est Dieu, pensais-je, qui m’emporte,
L’infini s’ouvre sous mes pas !
Que mon aile naissante est forte !
Quels cieux ne tenterons-nous pas ?
La foi même, un pied sur la terre,
Monte de mystère en mystère
Jusqu’où l’on monte sans mourir !
J’irai, plein de sa soif sublime,
Me désaltérer dans l’abîme
Que je ne verrai plus tarir !
J’ai cherché le Dieu que j’adore
Partout où l’instinct m’a conduit,
Sous les voiles d’or de l’aurore,
Chez les étoiles de la nuit ;
Le firmament n’a point de voûtes,
Les feux, les vents n’ont point de routes
Où mon oeil n’ait plongé cent fois ;
Toujours présent à ma mémoire,
Partout où se montrait sa gloire,
Il entendait monter ma voix !
Je l’ai cherché dans les merveilles,
Oeuvre parlante de ses mains,
Dans la solitude et les veilles,
Et dans les songes des humains !
L’épi, le brin d’herbe, l’insecte,
Me disaient : Adore et respecte !
Sa sagesse a passé par là !
Et ces catastrophes fatales,
Dont l’histoire enfle ses annales
Me criaient plus haut : Le voilà !
A chaque éclair, à chaque étoile
Que je découvrais dans les cieux,
Je croyais voir tomber le voile
Qui le dérobait à mes yeux ;
Je disais : Un mystère encore !
Voici son ombre, son aurore,
Mon âme ! il va paraître enfin !
Et toujours, à triste pensée !
Toujours quelque lettre effacée
Manquait, hélas ! au nom divin.
Et maintenant, dans ma misère,
Je n’en sais pas plus que l’enfant
Qui balbutie après sa mère
Ce nom sublime et triomphant ;
Je n’en sais pas plus que l’aurore,
Qui de son regard vient d’éclore,
Et le cherche en vain en tout lieu,
Pas plus que toute la nature
Qui le raconte et le murmure,
Et demande : Où donc est mon Dieu ?
Voilà pourquoi mon âme est triste,
Comme une mer brisant la nuit sur un écueil,
Comme la harpe du Psalmiste,
Quand il pleure au bord d’un cercueil !
Comme l’Horeb voilé sous un nuage sombre,
Comme un ciel sans étoile, ou comme un jour sans ombre,
Ou comme ce vieillard qu’on ne put consoler,
Qui, le coeur débordant d’une douleur farouche,
Ne pouvait plus tarir la plainte sur sa bouche,
Et disait : Laissez-moi parler !
Mais que dis-je ? Est-ce toi, vérité, jour suprême !
Qui te caches sous ta splendeur ?
Ou n’est-ce pas mon oeil qui s’est voilé lui-même
Sous les nuages de mon coeur
Ces enfants prosternés aux marches de ton temple,
Ces humbles femmes, ces vieillards,
Leur âme te possède et leur oeil te contemple,
Ta gloire éclate à leurs regards !
Et moi, je plonge en vain sous tant d’ombres funèbres,
Ta splendeur te dérobe à moi !
Ah ! le regard qui cherche a donc plus de ténèbres
Que l’oeil abaissé devant toi ?
Dieu de la lumière,
Entends ma prière,
Frappe ma paupière
Comme le rocher !
Que le jour se fasse,
Car mon âme est lasse,
Seigneur, de chercher !
Astre que j’adore,
Ce jour que j’implore
N’est point dans l’aurore,
N’est pas dans les cieux !
Vérité suprême !
Jour mystérieux !
De l’heure où l’on t’aime,
Il est en nous-même,
Il est dans nos yeux !
Harmonies poétiques et religieuses
Alphonse de Lamartine