Phèdre par Jean Racine
Thésée, Aricie
THÉSÉE
Vous changez de couleur, et semblez interdite,
Madame: que faisait Hippolyte en ce lieu ?
ARICIE
Seigneur, il me disait un éternel adieu.
THÉSÉE
Vos yeux ont su dompter ce rebelle courage;
Et ses premiers soupirs sont votre heureux ouvrage.
ARICIE
Seigneur, je ne vous puis nier la vérité:
De votre injuste haine il n’a pas hérité;
Il ne me traitait point comme une criminelle.
THÉSÉE
J’entends: il vous jurait une amour éternelle.
Ne vous assurez point sur ce cœur inconstant;
Car à d’autres que vous il en jurait autant.
ARICIE
Lui, seigneur ?
THÉSÉE
Lui, seigneur ? Vous deviez le rendre moins volage:
Comment souffriez-vous cet horrible partage ?
ARICIE
Et comment souffrez-vous que d’horribles discours
D’une si belle vie osent noircir le cours ?
Avez-vous de son cœur si peu de connaissance ?
Discernez-vous si mal le crime et l’innocence ?
Faut-il qu’à vos yeux seuls un nuage odieux
Dérobe sa vertu, qui brille à tous les yeux !
Ah ! c’est trop le livrer à des langues perfides.
Cessez: repentez-vous de vos vœux homicides;
Craignez, seigneur, craignez que le ciel rigoureux
Ne vous haïsse assez pour exaucer vos vœux.
Souvent dans sa colère il reçoit nos victimes:
Ses présents sont souvent la peine de nos crimes.
THÉSÉE
Non, vous voulez en vain couvrir son attentat;
Votre amour vous aveugle en faveur de l’ingrat.
Mais j’en crois des témoins certains, irréprochables:
J’ai vu, j’ai vu couler des larmes véritables.
ARICIE
Prenez, garde, seigneur: vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains;
Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un… Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.
Instruite du respect qu’il veut vous conserver,
Je l’affligerais trop si j’osais achever.
J’imite sa pudeur, et fuis votre présence
Pour n’être pas forcée à rompre le silence.
Phèdre ACTE cinquième Scène 3
La pièce de Théâtre Phèdre par Jean Racine.