Petits amis qui sûtes nous prouver
Par A plus B que deux et deux font quatre,
Mais qui depuis voulez parachever
Une victoire où l'on se laissait battre,
Et couronner vos conquêtes d'un coup
Par ce soufflet à la mémoire humaine :
" Dieu ne vous a révélé rien du tout,
Car nous disons qu'il n'est que l'ombre vaine,
Que le profil et que l'allongement
Sur tous les murs que la peur édifie
De votre pur et simple mouvement,
Et nous dictons cette philosophie. "
– Frères trop chers, laissez-nous rire un peu,
Nous les fervents d'une logique rance,
Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu
Et mettons notre espoir dans l'Espérance,
Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi,
Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème,
Rire du vieux Satan stupide ainsi,
Pleurer sur cet Adam dupe quand même !
Frères de nous qui payons vos orgueils,
Tous fils du même Amour, ah ! la science,
Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils
Naïfs ou non, c'est notre méfiance
Ou notre confiance aux seuls Récits,
C'est notre oreille ouverte toute grande
Ou tristement fermée au Mot précis !
Frères, lâchez la science gourmande
Qui veut voler sur les ceps défendus
Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaître.
Lâchez son bras qui vous tient attendus
Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naître,
Mais qui sont l'oeuvre affreuse du péché,
Car nous, les fils attentifs de l'Histoire,
Nous tenons pour l'honneur jamais taché
De la Tradition, supplice et gloire !
Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant
Qu'ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme,
Et prédisant aux crimes d'à présent
La peine immense ou le pardon énorme.
Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours,
Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes
Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts,
Et puisqu'il est des repentirs sublimes,
Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien :
Que deux et deux fassent quatre, à merveille !
Riens innocents, mais des riens moins que rien,
La dernière heure étant là qui surveille
Tout autre soin dans l'homme en vérité !
Gardez que trop chercher ne vous séduise
Loin d'une sage et forte humilité…
Le seul savant, c'est encore Moïse.Or, vous voici promus, petits amis,
Depuis les temps de ma lettre première,
Promus, disais-je, aux fiers emplois promis
À votre thèse, en ces jours de lumière.
Vous voici rois de France ! À votre tour !
(Rois à plusieurs d'une France postiche,
Mais rois de fait et non sans quelque amour
D'un trône lourd avec un budget riche.)
À l'oeuvre, amis petits ! Nous avons droit
De vous y voir, payant de notre poche,
Et d'être un peu réjouis à l'endroit
De votre état sans peur et sans reproche.
Sans peur ? Du maître ? Ô le maître, mais c'est
L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre
Total, le peuple, " un âne " fort " qui s'est
Cabré " , pour vous espoir clair, puis fait sombre.
Cabré comme une chèvre, c'est le mot.
Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle,
S'efforce en vain : fort comme Béhémot,
Le monstre tire… et votre peur est telle
Quand l'âne brait, que le voilà parti
Qui par les dents vous boute cent ruades
En forme de reproche bien senti…
Courez après, frottant vos reins malades !
Ô Peuple, nous t'aimons immensément :
N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante
En proie à tout ce qui sait et qui ment ?
N'es-tu donc pas l'immensité souffrante ?
La charité nous fait chercher tes maux,
La foi nous guide à travers tes ténèbres.
On t'a rendu semblable aux animaux,
Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres.
L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf,
Nabuchodonosor, et te fait paître,
Âne obstiné, mouton buté, dur bœuf,
Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre !
Ô paysan cassé sur tes sillons,
Pâle ouvrier qu'esquinte la machine,
Membres sacrés de Jésus-Christ, allons,
Relevez-vous, honorez votre échine,
Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts,
Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde,
Respectez-les, fuyez ces chemins tors,
Fermez l'oreille à ce conseil immonde,
Redevenez les Français d'autrefois,
Fils de l'Église, et dignes de vos pères !
Ô s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois,
Leurs os sueraient de honte aux cimetières.
– Vous, nos tyrans minuscules d'un jour
(L'énormité des actes rend les princes
Surtout de souche impure, et malgré cour
Et splendeur et le faste, encor plus minces),
Laissez le règne et rentrez dans le rang.
Aussi bien l'heure est proche où la tourmente
Vous va donner des loisirs, et tout blanc
L'avenir flotte avec sa Fleur charmante
Sur la Bastille absurde où vous teniez
La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme,
Déjà vous peint allant au catéchisme.