Ensemble nous devenons vieux.
Depuis dix ans je te brosse moi-même,
Et Socrate n’eut pas fait mieux!
Quand le sort à ta mince étoffe
Livrerait de nouveaux combats,
Imite-moi, résiste en philosophe:
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Je me souviens, car j’ai bonne mémoire,
De premier jour où je te mis.
C’était ma fête, et pour comble de gloire,
Tu fus chanté par mes amis.
Ton indigence, qui m’honore,
Ne m’a point banni de leur bras,
Tous ils sont prêts à nous fêter encore:
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
A ton revers j’admire une reprise;
C’est encore au doux souvenir.
Feignant un jour de fuir la tendre Lise,
Je sens sa main me retenir.
On te déchire, et cet outrage
Auprès d’elle enchaîne mes pas.
Lisette a mis deux jours à tant d’ouvrage:
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Ne crains plus tant ces jours de courses vaines
Où notre destin fut pareil;
Ces jours mêlés de plaisirs et de peines,
Mêlés de pluie et de soleil.
Je dois bientôt, il me le semble,
Mettre pour jamais habit bas.
Attends un peu; nous finirons ensemble:
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Chansons
Pierre Jean de Béranger