LV Adieu !
LV Adieu !, un chapitre de L’Écornifleur un roman de Jules Renard
Installé, les jambes allongées, le coude dans l’embrasse, tandis qu’au passage du train les pommiers courent, des poulains s’effarent, des perdrix s’envolent, moi je me sauve !
Il était temps. Le désastre aurait éclaté. Entre deux excitants également imprenables, je perdais la tête.
Mes amis m’ont donné ce qu’ils avaient de meilleur en eux. Ils sont bons maintenant à mettre dans des mémoires. Afin que Marguerite m’oublie, on lui achètera un poney, propre à la selle. Le premier amour d’une jeune fille se passe en exercice, et le dernier d’une femme mûre en paroles. Madame Vernet sera sage, et dira:
— ” Je remercie le hasard, qui me l’avait envoyé et me le reprend. Notre brève aventure se termine bien; une femme honnête n’en rougirait pas. Je souffrais des nerfs, de la sensibilité: ils se calment… Je connais au fond de moi un coin rafraîchissant où je pourrai me retirer loin de mon mari, quand j’aurai besoin d’être seule. Il faut des souvenirs à une femme qui vieillit. J’en ai fait ces temps-ci provision. J’ai été tentée de me mettre au café, et je vois que je me contenterai d’un canard. “
Ainsi songera Madame Vernet dans une buée de mélancolie. C’est Monsieur Vernet qui me regrettera le plus, à cause de l’argent qu’il m’a prêté.
Comme c’est bon d’avoir la conscience à peu près nette ! Car enfin j’aurais pu mal agir, déchirer jusqu’au cœur ceux que je n’ai qu’égratignés. J’entends alors Monsieur Vernet:
— ” Vous êtes l’amant de ma femme et vous êtes l’amant de ma nièce ! “
Je sens sa lourde main sur mon épaule.
Oh ! je me forme petit à petit.
L’humeur et le pays parcouru changent. Chacun des ressauts du wagon casse un des fils qui me retenaient là-bas; celui-ci me mettait en communication avec l’amour gris-tendre de Madame Vernet, celui-là avec l’innocent éveil de cœur de Marguerite, cet autre avec les bons repas, la table, le lit hospitaliers.
Tous se brisent. Les bouts s’accrochent à mon âme, et je pourrais la secouer comme un tablier de couturière.
Mes chers amis, une dernière fois merci et adieu ! Il ne me reste plus qu’à me coller au dos cette étiquette trouvée dans le Journal des Goncourt:
” À céder un parasite qui a déjà servi. “
LV Adieu !
LV Adieu !, un chapitre de L’Écornifleur un roman de Jules Renard
jules Renard est un romancier écrivain de la fin du 19ème siècle début du 20ème siècle.
Il a écrit les romans Poil de carotte, Histoires naturelles, Patrie, Les Philippe, Journal. il se met aux pièces de thèâtre.
Citation et citations Jules Renard.
Jules Renard est un écrivain majeur de la langue française, ami avec Émile Zola, Alphonse Allais, Edmond Rostand, les Goncourt, Courteline mais aussi Tristan Bernard et Sarah Bernard.
L’Écornifleur: Roman de Jules Renard