Les Marins de la « Jeannette »

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L’Amérique a produit, brave autant que féconde,
Ces marins dont l’échec émeut encor le monde,
Et que la gloire, au front toujours grave et serein,
Fit asseoir au milieu de son temple d’airain.
Quand ces audacieux, croyant à leur étoile,
Eurent à l’âpre vent des mers ouvert la voile,
Qu’ils eurent salué les grands arbres ombreux

 


Du rivage natal décroissant derrière eux,
Des chants d’enthousiasme et des flots d’harmonie
S’élevèrent des bords de la Californie,
Et Londres, qui prend part aux plus hardis travaux,
De loin, les acclama de délirants bravos.
Explorateurs que rien n’arrête et ne déroute,
Ils s’en allaient frayer une nouvelle route,
Et, comme la France est de tous les grands essais,
Leur navire à son flanc portait un nom français.
Pionniers du progrès, orgueilleux de leur rôle,
Ils allaient hardiment, l’œil tourné vers le pôle ;
Ils espéraient franchir les gouffres inconnus
D’où tant d’audacieux ne sont pas revenus,
Et rêvaient de porter la bannière étoilée
Plus loin qu’aucune voile encor n’était allée.
 
Parfois, dans les beaux soirs, quand les vents se taisaient,
Et que les astres d’or dans les vagues luisaient,
Groupés au pied des mâts, ils narraient des histoires ;
Du pays des aïeux ils évoquaient les gloires,
Ils vantaient le soleil de ces bords séduisants
Où tant de cœurs émus battaient pour les absents.
Bien avant dans la nuit ils causaient sous les voiles,
Et, mollement bercés par les flots pleins d’étoiles,
Après que tout causeur dans l’ombre s’était tu,
Ils restaient là pensifs et le front abattu ;
Ils songeaient aux dangers dont l’Arctique fourmille,
Ils revoyaient au loin le seuil de la famille,
Où tout, naguère encore, était calme et serein…
Et des soupirs gonflaient leur poitrine d’airain…
Mais l’aube les voyait joyeux à la manœuvre.

Leur dévoûment était aussi grand que leur œuvre.

Dévoûment inutile ! Hélas ! ils ont grossi
Le nombre des héros qui n’ont pas réussi,
Ils sont morts, en laissant leur tâche inachevée,
Sans pouvoir pénétrer dans la zone rêvée,
Sans atteindre le but splendide et radieux,
Sans qu’une oreille amie ait reçu leurs adieux,
Sous des cieux où l’oiseau n’ouvre jamais son aile,
Au milieu des horreurs de la glace éternelle.
Et l’Océan polaire, ignoré du soleil,
Incessamment voilé d’une nuit sans réveil,
Jeta durant des mois son rôle et son écume
À ces preux endormis pour toujours dans la brume.
 
Pour retrouver ses fils et recueillir leurs os,
La patrie en deuil a versé son or à flots ;
Et, pendant que, roulés dans les plis du suaire,
Ils traversaient l’Europe, un long glas mortuaire
A tinté dans les cœurs, la bouche des canons
A tous les vents du ciel a répété leurs noms ;
Partout ont résonné les cloches, les fanfares,
Partout, la nuit, les tours ont lui comme des phares,
Et devant les cercueils de ces sublimes fous
La France enthousiaste est tombée à genoux ;
Et puis son œil rêveur a suivi sur la lame
La nef portant les os des vaillants qu’on acclame ;
Et lorsque l’Amérique a reçu ses héros,
Quand leurs frères, parmi les vivats, les sanglots,
Sont allés les coucher sous la funèbre voûte,
Flottant sur des Français inclinés sur la route,
Les trois couleurs au vent déployaient leur éclat,
La France dans ses fils était encore là.

Ah ! c’est que cette France admire le courage,
Honore les martyrs, sait toujours rendre hommage
A tous ceux qui sont prêts à mourir, s’il le faut,
Soit au fond d’un désert ou sur un échafaud.

Chaque peuple aujourd’hui sait la triste aventure
De ces marins tombés dans une lutte obscure,
Et leur échec toujours devra navrer les cœurs.
Vaincus, ils ont au front le nimbe des vainqueurs.
Leur dévoûment peut-être était de la folie…
Soit ! mais devant celui qui va donner sa vie
Pour servir la science, aider l’humanité,
Moi d’admiration je me sens transporté.
Et ceux qui restent droits quand la France s’incline
N’ont jamais rien senti battre dans leur poitrine.

 



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