Un objet qui plaist aux beaux yeux
Que les miens treuvent adorables :
Et monstrer avecque raison
Qu’entre les couleurs agreables,
Le vert est sans comparaison.
Lorsque le Monde fut produit,
La premiere fois que la nuit
Quita sa place à la lumiere ;
Entre mille rares beautez,
Le vert fut la couleur premiere
Dont les yeux furent enchantez.
Le vert est l’ame des desirs
Et l’Avantcoureur des plaisirs
Que le doux Printemps nous aporte :
Lors que l’univers est en dueil,
Lors que la terre paroist morte,
Le vert la tire du cercueil.
C’est le simbole de l’espoir,
Dont la puissance nous fait voir
Le beau temps au fort de l’orage :
Et par qui nous sommes flatez
Quand nous portons nostre courage
A veincre des difficultez.
Amour y treuve tant d’attraits
Qu’il en esmaille tous les traits
Dont il blesse les belles Ames :
Et croit que sans cette couleur
La violence de ses flames
N’auroit ny plaisir, ny douleur.
La belle Iris se faisant voir
Du costé qu’il vient à pleuvoir
Durant les saisons les plus chaudes,
Doit son plus aimable ornement
Au vert esclat des Esmeraudes
Qui brillent en son vestement.
Le vert par ses rares vertus
Releve les coeurs abatus
Et resjouist les yeux malades :
Oubliant mille apas divers,
La plus charmante des Nayades
Se vante d’avoir les yeux verts.
La Rose, la Reine des fleurs,
Sur qui l’Aurore espand des pleurs
De jalousie & de colere,
En naissant sur son arbrisseau
N’auroit pas la grace de plaire
Si le vert n’estoit son berceau.
Au jugement des bons espris
Le vert emportera le pris
Sur les couleurs les plus nouvelles.
Ce qu’est la Rose entre les fleurs,
Ce qu’est Madame entre les Belles,
Le vert l’est entre les couleurs.
Plaintes d’Acante
François Tristan L’Hermite