Les Fourberies de Scapin ACTE II Scène 1
Les Fourberies de Scapin par Molière
Géronte, Argante.
Géronte
Oui, sans doute, par le temps qu’il fait, nous aurons ici nos gens aujourd’hui; et un matelot qui vient de Tarente m’a assuré qu’il avait vu mon homme qui était près de s’embarquer. Mais l’arrivée de ma fille trouvera les choses mal disposées à ce que nous nous proposions; et ce que vous venez de m’apprendre de votre fils rompt étrangement les mesures que nous avions prises ensemble.
Argante
Ne vous mettez pas en peine: je vous réponds de renverser tout cet obstacle, et j’y vais travailler de ce pas.
Géronte
Ma foi ! seigneur Argante, voulez-vous que je vous dise ? l’éducation des enfants est une chose à quoi il faut s’attacher fortement.
Argante
Sans doute. À quel propos cela ?
Géronte
À propos de ce que les mauvais déportements des jeunes gens viennent le plus souvent de la mauvaise éducation que leurs pères leur donnent.
Argante
Cela arrive parfois. Mais que voulez-vous dire par là ?
Géronte
Ce que je veux dire par là ?
Argante
Oui.
Géronte
Que si vous aviez en brave père, bien morigéné votre fils, il ne vous aurait pas joué le tour qu’il vous a fait.
Argante
Fort bien. De sorte donc que vous avez bien mieux morigéné le vôtre ?
Géronte
Sans doute, et je serais bien fâché qu’il m’eût rien fait approchant de cela.
Argante
Et si ce fils que vous avez, en brave père, si bien morigéné, avait fait pis encore que le mien ? eh ?
Géronte
Comment ?
Argante
Comment ?
Géronte
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Argante
Cela veut dire, Seigneur Géronte, qu’il ne faut pas être si prompt à condamner la conduite des autres; et que ceux qui veulent gloser doivent bien regarder chez eux s’il n’y a rien qui cloche.
Géronte
Je n’entends point cette énigme.
Argante
On vous l’expliquera.
Géronte
Est-ce que vous auriez ouï dire quelque chose de mon fils ?
Argante
Cela se peut faire.
Géronte
Et quoi encore ?
Argante
Votre Scapin, dans mon dépit, ne m’a dit la chose qu’en gros; et vous pourrez de lui, ou de quelque autre, être instruit du détail. Pour moi, je vais vite consulter un avocat, et aviser des biais que j’ai à prendre. Jusqu’au revoir.
Les Fourberies de Scapin par Jean Baptiste Poquelin: Molière
Une pièce de théâtre de Molière