On m’engage à conter d’une manière honnête
Le sujet d’un de ces tableaux
Sur lesquels ont met des rideaux.
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes;Ce n’est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu’on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Venus par la main de Junon
A ce plaisant objet si quelqu’une recule
Cette quelqu’une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux
Puisqu’on le veut ainsi, je ferai de mon mieux:
Nuls traits à découvert n’auront ici de place
Tout y sera voile; mais de gaze; et si bien
Que je crois qu’on n’en perdra rien.
Qui pense finement, et s’exprime avec grâce,
Fait tout passer; car tout passe:
Je l’ai cent fois éprouvé:
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne:
Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant:
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J’ai besoin aujourd’hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte l’oeil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela: chastes sont ses oreilles
Encor que les yeux soient fripons.
Je veux, quoi qu’il en soit, expliquer à des belles
Cette chaise rompue, et ce rustre tombé:
Muses venez m’aider; mais vous êtes pucelles,
Au joli jeu d’amour ne sachant A ni B.
Muses ne bougez donc; seulement par bonté
Dites au dieu des vers que dans mon entreprise
Il est bon qu’il me favorise,
Et de mes mots fasse le choix,
Ou je dirai quelque sottise
Qui me fera donner du busque sur les doigts.
C’est assez raisonner; venons à la peinture.
Elle contient une aventure
Arrivée au pays d’Amours.
Jadis la ville de Cythère
Avait en l’un de ses faubourgs
Un monastère.
Venus en fit un séminaire.
Il était de nonnains, et je puis dire ainsi
Qu’il était de galants aussi.
En ce lieu hantaient d’ordinaire
Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs,
Et docteurs,
Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre
Passait dans lz maison pour être des amis,
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils
Son chapeau luisant, sur son rabat bien mis
La médisance n’eût su mordre.
Ce qu’il avait de plus charmant,
C’est que deux des nonnains alternativement
En tiraient maint et maint service.
L’une n’avait quitté les atours de novice
Que depuis quelque mois; l’ autre encor les portait:
La moins jeune à peine comptait
Un an entier par-dessus seize;
Age propre à soutenir thèse;
Thèse d’amour; le bachelier
Leur avait rendu familier
Chaque point de cette science
Et le tout par expérience.
Une assignation pleine d’impatience
Fut un jour par les soeurs donnée à cet amant;
Et pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie
Met Venus en train bien souvent ,
Devaient être ce coup de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprêts du régal.
Elle sut s’en tirer avec beaucoup de grâce.
Tout passa par ses mains, et le vin, et la glace,
Et les carafes de cristal.
On s’y seroit mire. Flore à l’haleine d’ambre
Sema de fleurs toute la chambre.
Elle en fit un jardin. Sur le linge ces fleurs
Formaient des lacs d’amour, et le chiffre des soeurs.
Leurs cloîtrières Excellences
Aimaient fort ces magnificences:
C’est un plaisir de nonne. Au reste leur beauté
Aiguisait l’appétit aussi de son côté.
Mille secrètes circonstances
De leurs corps polis et charmants
Augmentaient l’ardeur des amants.
Leur taille était presque semblable.
Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté, tout charmait, tout était fait au tour.
En mille endroits nichait l’amour,
Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire
Sous ceci, sous cela que voit peu l’oeil du jour
Si celui du galant ne l’appelle au mystère.
A ces soeurs l’enfant de Cythère
Mille fois le jour s’en venait
Les bras ouverts, et les prenait
L’une après l’autre pour sa mère.
Tel ce couple attendait le bachelier trop lent;
Et de lui tout en l’attendant
Elles disaient du mal, puis du bien, puis les belles
Imputaient son retardement
A quelques amitiés nouvelles.
Qui peut le retenir, disait l’une, est-ce amour ?
Est-ce affaire? est-ce maladie?
Qu’il y revienne de sa vie,
Disait l’autre il aura son tour.
Tandis qu’elles cherchaient là-dessous du mystère,
Passe un Mazet portant à la dépositaire
Certain fardeau peu nécessaire.
Ce n’était qu’un prétexte, et selon qu’on m’a dit
Cette dépositaire ayant grand appetit
Faisait sa portion des talents de ce rustre
Tenu dans tels repas pour un traiteur illustre.
Le coquin lourd d’ailleurs, et de très court esprit
A la cellule se méprit.
Il alla chez les attendantes
Frapper avec ses mains pesantes.
On ouvre, on est surpris, on le maudit d’abord,
Puis on voit que c’est un trésor.
Les nonnains s’éclatent de rire.
Toutes deux commencent à dire,
Comme si toutes deux s’étaient donné le mot:
Servons-nous de ce maître sot.
Il vaut bien l’autre ; que t’en semble ?
La professe ajouta : C’est très bien avisé
Qu’attendions-nous ici ? qu’il nous fût débité
De beaux discours? non non; ni rien qui leur ressemble.
Ce pitaud doit valoir pour le point souhaité
Bachelier et docteur ensemble.
Elle en jugeait très bien; la taille du garçon,
Sa simplicité, sa façon,
Et le peu d’intérêt qu’en tout il semblait prendre,
Faisaient de lui beaucoup attendre.
C’était l’homme d’Esope; il ne songeait à rien
Mais il buvait et mangeait bien;
Et si Xantus l’eût laissé faire,
Il aurait poussé loin l’affaire.
Ainsi bientôt apprivoisé,
Il se trouva tout disposé
Pour exécuter sans remise
Les ordres des nonnains, les servant à leur guise
Dans son office de mazet
Dont il lui fut donne par les soeurs un brevet.
Ici la peinture commence:
Nous voilà parvenus au point;
Dieu des vers, ne me quitte point;
J’ai recours à ton assistance.
Dis-moi pourquoi ce rustre assis,
Sans peine de sa part, et très fort à son aise
Laisse le soin de tout aux amoureux soucis
De soeur Claude, et de soeur Thérèse.
N’aurait-il pas mieux fait de leur donner la chaise ?
Il me semble déjà que je vois Apollon
Qui me dit: Tout beau; ces matières
A fond ne s’examinent guères.
J’entends; et l’Amour est un étrange garçon.
J’ai tort d’ériger un fripon
En maître des cérémonies.
Dès qu’il entre en une maison,
Règles et lois en sont bannies:
Sa fantaisie est sa raison.
Le voilà qui rompt tout; c’est assez sa coutume.
Ses yeux sont violents. A terre on vit bientôt
Le galant cathédral; ou soit par le défaut
De la chaise un peu faible; ou soit que du pitaud
Le corps ne fût pas fait de plume ;
Ousoit que soeur Thérèse eût chargé d’action
Un discours véhément, et plein d’émotion ;
On entendit craquer l’amoureuse tribune..
Le rustre tombe à terre en cette occasion.
Ce premier point eut par fortune
Malheureuse conclusion.
Censeurs, n’approchez point d’ici votre oeil profane.
Vous gens de bien, voyez comme soeur Claude mit
Un tel incident à profit.
Thérèse en ce malheur perdit la tramontane.
Claude la débusqua, s’emparant du timon.
Thérèse pire qu’un démon
Tâche à la retirer, et se remettre au trône;
Mais celle-ci n’est pas personne
A céder un poste si doux.
Soeur Claude prenez garde à vous;
Thérèse en veut venir aux coups;
Elle a le poing levé. Qu’elle ait. C’est bien répondre;
Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien.
Je ne m’étonne pas que vous sachiez confondre
Un petit mal dans un grand bien.
Malgré la colère marquée
Sur le front de la débusquée
Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien;
Thérèse est mal contente et gronde.
Les plaisirs de Vénus sont sources de débats.
Leur fureur n’a point de seconde.
J’en prends à témoin les combats
Qu’on vit sur la terre et sur l’onde,
Lorsque Paris à Ménélas
Ota la merveille du monde.
Qu’un pitaud faisant naître un aussi grand procès
Tint ici lieu d’Hélène, une foi sans excès
Le peut croire, et fort bien; troublez nonne en sa joie,
Vous verrez la guerre de Troie.
Quoique Bellone ait part ici,
J’y vois peu de corps de cuirasse,
Dame Vénus se couvre ainsi
Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace
Cette armure a beaucoup de grâce.
Belles vous m’entendez: je n’en dirai pas plus:
L’habit de guerre de Vénus
Est plein de choses admirables !
Les Cyclopes aux membres nus
Forgent peu de harnois qui lui soient comparables:
Celui du preux Achille aurait été plus beau,
Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.
Or ai-je des nonnains mis en vers l’aventure,
Mais non avec des traits dignes de l’action;
Et comme celle-ci déchet dans la peinture,
La peinture déchet dans ma description:
Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles,
Ni les yeux ne sont les oreilles.
J’ai laissé longtemps au filet
Soeur Thérèse la détrônée.
Elle eut son tour: notre mazet
Partagea si bien sa journée
Que chacun fut content. L’histoire finit là;
Du festin pas un mot: je veux croire, et pour cause,
Que l’on but et que l’on mangea:
Ce fut l’intermède et la pause.
Enfin tout alla bien, hormis qu’en bonne foi
L’heure du rendez-vous m’embarrasse, et pourquoi ?
Si l’amant ne vint pas, Sœur Claude et sœur Thérèse
Eurent à tout le moins de quoi se consoler,
S’il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise,
L’amant trouva bientôt encore à qui parler.
Le sujet d’un de ces tableaux
Sur lesquels ont met des rideaux.
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes;Ce n’est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu’on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Venus par la main de Junon
A ce plaisant objet si quelqu’une recule
Cette quelqu’une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux
Puisqu’on le veut ainsi, je ferai de mon mieux:
Nuls traits à découvert n’auront ici de place
Tout y sera voile; mais de gaze; et si bien
Que je crois qu’on n’en perdra rien.
Qui pense finement, et s’exprime avec grâce,
Fait tout passer; car tout passe:
Je l’ai cent fois éprouvé:
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne:
Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant:
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J’ai besoin aujourd’hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte l’oeil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela: chastes sont ses oreilles
Encor que les yeux soient fripons.
Je veux, quoi qu’il en soit, expliquer à des belles
Cette chaise rompue, et ce rustre tombé:
Muses venez m’aider; mais vous êtes pucelles,
Au joli jeu d’amour ne sachant A ni B.
Muses ne bougez donc; seulement par bonté
Dites au dieu des vers que dans mon entreprise
Il est bon qu’il me favorise,
Et de mes mots fasse le choix,
Ou je dirai quelque sottise
Qui me fera donner du busque sur les doigts.
C’est assez raisonner; venons à la peinture.
Elle contient une aventure
Arrivée au pays d’Amours.
Jadis la ville de Cythère
Avait en l’un de ses faubourgs
Un monastère.
Venus en fit un séminaire.
Il était de nonnains, et je puis dire ainsi
Qu’il était de galants aussi.
En ce lieu hantaient d’ordinaire
Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs,
Et docteurs,
Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre
Passait dans lz maison pour être des amis,
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils
Son chapeau luisant, sur son rabat bien mis
La médisance n’eût su mordre.
Ce qu’il avait de plus charmant,
C’est que deux des nonnains alternativement
En tiraient maint et maint service.
L’une n’avait quitté les atours de novice
Que depuis quelque mois; l’ autre encor les portait:
La moins jeune à peine comptait
Un an entier par-dessus seize;
Age propre à soutenir thèse;
Thèse d’amour; le bachelier
Leur avait rendu familier
Chaque point de cette science
Et le tout par expérience.
Une assignation pleine d’impatience
Fut un jour par les soeurs donnée à cet amant;
Et pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie
Met Venus en train bien souvent ,
Devaient être ce coup de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprêts du régal.
Elle sut s’en tirer avec beaucoup de grâce.
Tout passa par ses mains, et le vin, et la glace,
Et les carafes de cristal.
On s’y seroit mire. Flore à l’haleine d’ambre
Sema de fleurs toute la chambre.
Elle en fit un jardin. Sur le linge ces fleurs
Formaient des lacs d’amour, et le chiffre des soeurs.
Leurs cloîtrières Excellences
Aimaient fort ces magnificences:
C’est un plaisir de nonne. Au reste leur beauté
Aiguisait l’appétit aussi de son côté.
Mille secrètes circonstances
De leurs corps polis et charmants
Augmentaient l’ardeur des amants.
Leur taille était presque semblable.
Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté, tout charmait, tout était fait au tour.
En mille endroits nichait l’amour,
Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire
Sous ceci, sous cela que voit peu l’oeil du jour
Si celui du galant ne l’appelle au mystère.
A ces soeurs l’enfant de Cythère
Mille fois le jour s’en venait
Les bras ouverts, et les prenait
L’une après l’autre pour sa mère.
Tel ce couple attendait le bachelier trop lent;
Et de lui tout en l’attendant
Elles disaient du mal, puis du bien, puis les belles
Imputaient son retardement
A quelques amitiés nouvelles.
Qui peut le retenir, disait l’une, est-ce amour ?
Est-ce affaire? est-ce maladie?
Qu’il y revienne de sa vie,
Disait l’autre il aura son tour.
Tandis qu’elles cherchaient là-dessous du mystère,
Passe un Mazet portant à la dépositaire
Certain fardeau peu nécessaire.
Ce n’était qu’un prétexte, et selon qu’on m’a dit
Cette dépositaire ayant grand appetit
Faisait sa portion des talents de ce rustre
Tenu dans tels repas pour un traiteur illustre.
Le coquin lourd d’ailleurs, et de très court esprit
A la cellule se méprit.
Il alla chez les attendantes
Frapper avec ses mains pesantes.
On ouvre, on est surpris, on le maudit d’abord,
Puis on voit que c’est un trésor.
Les nonnains s’éclatent de rire.
Toutes deux commencent à dire,
Comme si toutes deux s’étaient donné le mot:
Servons-nous de ce maître sot.
Il vaut bien l’autre ; que t’en semble ?
La professe ajouta : C’est très bien avisé
Qu’attendions-nous ici ? qu’il nous fût débité
De beaux discours? non non; ni rien qui leur ressemble.
Ce pitaud doit valoir pour le point souhaité
Bachelier et docteur ensemble.
Elle en jugeait très bien; la taille du garçon,
Sa simplicité, sa façon,
Et le peu d’intérêt qu’en tout il semblait prendre,
Faisaient de lui beaucoup attendre.
C’était l’homme d’Esope; il ne songeait à rien
Mais il buvait et mangeait bien;
Et si Xantus l’eût laissé faire,
Il aurait poussé loin l’affaire.
Ainsi bientôt apprivoisé,
Il se trouva tout disposé
Pour exécuter sans remise
Les ordres des nonnains, les servant à leur guise
Dans son office de mazet
Dont il lui fut donne par les soeurs un brevet.
Ici la peinture commence:
Nous voilà parvenus au point;
Dieu des vers, ne me quitte point;
J’ai recours à ton assistance.
Dis-moi pourquoi ce rustre assis,
Sans peine de sa part, et très fort à son aise
Laisse le soin de tout aux amoureux soucis
De soeur Claude, et de soeur Thérèse.
N’aurait-il pas mieux fait de leur donner la chaise ?
Il me semble déjà que je vois Apollon
Qui me dit: Tout beau; ces matières
A fond ne s’examinent guères.
J’entends; et l’Amour est un étrange garçon.
J’ai tort d’ériger un fripon
En maître des cérémonies.
Dès qu’il entre en une maison,
Règles et lois en sont bannies:
Sa fantaisie est sa raison.
Le voilà qui rompt tout; c’est assez sa coutume.
Ses yeux sont violents. A terre on vit bientôt
Le galant cathédral; ou soit par le défaut
De la chaise un peu faible; ou soit que du pitaud
Le corps ne fût pas fait de plume ;
Ousoit que soeur Thérèse eût chargé d’action
Un discours véhément, et plein d’émotion ;
On entendit craquer l’amoureuse tribune..
Le rustre tombe à terre en cette occasion.
Ce premier point eut par fortune
Malheureuse conclusion.
Censeurs, n’approchez point d’ici votre oeil profane.
Vous gens de bien, voyez comme soeur Claude mit
Un tel incident à profit.
Thérèse en ce malheur perdit la tramontane.
Claude la débusqua, s’emparant du timon.
Thérèse pire qu’un démon
Tâche à la retirer, et se remettre au trône;
Mais celle-ci n’est pas personne
A céder un poste si doux.
Soeur Claude prenez garde à vous;
Thérèse en veut venir aux coups;
Elle a le poing levé. Qu’elle ait. C’est bien répondre;
Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien.
Je ne m’étonne pas que vous sachiez confondre
Un petit mal dans un grand bien.
Malgré la colère marquée
Sur le front de la débusquée
Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien;
Thérèse est mal contente et gronde.
Les plaisirs de Vénus sont sources de débats.
Leur fureur n’a point de seconde.
J’en prends à témoin les combats
Qu’on vit sur la terre et sur l’onde,
Lorsque Paris à Ménélas
Ota la merveille du monde.
Qu’un pitaud faisant naître un aussi grand procès
Tint ici lieu d’Hélène, une foi sans excès
Le peut croire, et fort bien; troublez nonne en sa joie,
Vous verrez la guerre de Troie.
Quoique Bellone ait part ici,
J’y vois peu de corps de cuirasse,
Dame Vénus se couvre ainsi
Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace
Cette armure a beaucoup de grâce.
Belles vous m’entendez: je n’en dirai pas plus:
L’habit de guerre de Vénus
Est plein de choses admirables !
Les Cyclopes aux membres nus
Forgent peu de harnois qui lui soient comparables:
Celui du preux Achille aurait été plus beau,
Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.
Or ai-je des nonnains mis en vers l’aventure,
Mais non avec des traits dignes de l’action;
Et comme celle-ci déchet dans la peinture,
La peinture déchet dans ma description:
Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles,
Ni les yeux ne sont les oreilles.
J’ai laissé longtemps au filet
Soeur Thérèse la détrônée.
Elle eut son tour: notre mazet
Partagea si bien sa journée
Que chacun fut content. L’histoire finit là;
Du festin pas un mot: je veux croire, et pour cause,
Que l’on but et que l’on mangea:
Ce fut l’intermède et la pause.
Enfin tout alla bien, hormis qu’en bonne foi
L’heure du rendez-vous m’embarrasse, et pourquoi ?
Si l’amant ne vint pas, Sœur Claude et sœur Thérèse
Eurent à tout le moins de quoi se consoler,
S’il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise,
L’amant trouva bientôt encore à qui parler.
Jean de la Fontaine
Fable de Jean de la Fontaine