toute morale, obstacle à tout progrès social, en présence de ce
gouvernement meurtrier du peuple et violateur des lois, de ce
gouvernement né de la force, et qui doit périr par la force, de ce
gouvernement élevé par le crime et qui doit être terrassé par le droit,
le Français digne du nom de citoyen ne sait pas, ne veut pas savoir
s’il y a quelque part des semblants de scrutin, des comédies de
suffrage universel et des parodies d’appel à la nation ; il ne
s’informe pas s’il y a des hommes qui votent et des hommes qui font
voter, s’il y a un troupeau qu’on appelle le Sénat et qui délibère et
un autre troupeau qu’on appelle le peuple et qui obéit ; il ne
s’informe pas si le pape va sacrer au maître-autel de Notre-Dame
l’homme qui – n’en doutez pas, ceci est l’avenir inévitable – sera
ferré au poteau par le bourreau ; – en présence de M. Bonaparte et de
son gouvernement, le citoyen, digne de ce nom, ne fait qu’une chose et
n’a qu’une chose à faire : charger son fusil et attendre l’heure. »
Jersey, 31 octobre 1852.
(Déclaration des proscrits républicains de Jersey, à propos de l’empire, publiée par Le Moniteur, signée pour copie conforme :
VICTOR HUGO, FAURE, FOMBERTAUX)« Nous flétrissons de l’énergie la plus vigoureuse de notre âme les ignobles et coupables manifestes du PARTI DU CRIME.»
(RIANCEY. Journal L’Union, 22 novembre.)
« LE PARTI DU CRIME relève la tête. »
(Tous les journaux élyséens en chœur.)
Ainsi ce gouvernant dont l’ongle est une griffe
Ce masque impérial, Bonaparte apocryphe,
A coup sûr Beauharnais, peut-être Verhuell,
Qui, pour la mettre en croix, livra, sbire cruel,
Rome républicaine à Rome catholique,
Cet homme, l’assassin de la chose publique,
Ce parvenu, choisi par le destin sans yeux,
Ainsi, lui, ce glouton singeant l’ambitieux,
Cette altesse quelconque habile aux catastrophes,
Ce loup sur qui je lâche une meute de strophes,
Ainsi ce boucanier, ainsi ce chourineur
A fait d’un jour d’orgueil un jour de déshonneur,
Mis sur la gloire un crime et souillé la victoire ;
Il a volé, l’infâme, Austerlitz à l’histoire ;
Brigand, dans ce trophée il a pris un poignard ;
Il a broyé bourgeois, ouvrier, campagnard ;
Il a fait de corps morts une horrible étagère
Derrière les barreaux de la cité Bergère ;
Il s’est, le sabre en main, rué sur son serment ;
Il a tué les lois et le gouvernement,
La justice, l’honneur, tout, jusqu’à l’espérance ;
Il a rougi de sang, de ton sang pur, ô France,
Tous nos fleuves, depuis la Seine jusqu’au Var ;
Il a conquis le Louvre en méritant Clamar ;
Et maintenant il règne, appuyant, ô patrie,
Son vil talon fangeux sur ta bouche meurtrie ;
Voilà ce qu’il a fait ; je n’exagère rien ;
Et quand, nous indignant de ce galérien
Et de tous les escrocs de cette dictature,
Croyant rêver devant cette affreuse aventure,
Nous disons, de dégoût et d’horreur soulevés :
– Citoyens, marchons ! Peuple, aux armes, aux pavés !
A bas ce sabre abject qui n’est pas même un glaive !
Que le jour apparaisse et que le droit se lève !
C’est nous, proscrits frappés par ces coquins hardis,
Nous, les assassinés, qui sommes les bandits !
Nous qui voulons le meurtre et les guerres civiles !
Nous qui mettons la torche aux quatre coins des villes !
Donc trôner par la mort, fouler aux pieds le droit ;
Etre fourbe, impudent, cynique, atroce, adroit ;
Dire : je suis César, et n’être qu’un maroufle ;
Etouffer la pensée et la vie et le souffle ;
Forcer quatre-vingt-neuf qui marche à reculer ;
Supprimer lois, tribune et presse ; museler
La grande nation comme une bête fauve ;
Régner par la caserne et du fond d’une alcôve ;
Restaurer les abus au profit des félons ;
Livrer ce pauvre peuple aux voraces Troplongs,
Sous prétexte qu’il fut, loin des temps où nous sommes,
Dévoré par les rois et par les gentilshommes ;
Faire manger aux chiens ce reste des lions ;
Prendre gaiement pour soi palais et millions,
S’afficher tout crûment satrape, et, sans sourdines,
Mener joyeuse vie avec des gourgandines ;
Torturer des héros dans le bagne exécré ;
Bannir quiconque est ferme et fer ; vivre entouré
De grecs, comme à Byzance autrefois le despote ;
Etre le bras qui tue et la main qui tripote ;
Ceci, c’est la justice, ô peuple, et la vertu !
Et confesser le droit par le meurtre abattu ;
Dans l’exil, à travers l’encens et les fumées.
Dire en face aux tyrans, dire en face aux armées :
– Violence, injustice et force sont vos noms ;
Vous êtes les soldats, vous êtes les canons ;
La terre est sous vos pieds comme votre royaume ;
Vous êtes le colosse et nous sommes l’atome ;
Eh bien ! guerre ! et luttons, c’est notre volonté.
Vous, pour l’oppression, nous, pour la liberté !
Montrer les noirs pontons, montrer les catacombes.
Et s’écrier, debout sur la pierre des tombes :
– Français ! craignez d’avoir un jour pour repentirs
Les pleurs des innocents et les os des martyrs !
Brise l’homme-sépulcre, ô France ! ressuscite !
Arrache de ton flanc ce Néron parasite !
Sors de terre sanglante et belle, et dresse-toi
Dans une main le glaive et dans l’autre la loi !
Jeter ce cri du fond de son âme proscrite,
Attaquer le forban, démasquer l’hypocrite.
Parce que l’honneur parle et parce qu’il le faut,
C’est le crime, cela ! – Tu l’entends, toi, là-haut !
Oui, voilà ce qu’on dit, mon Dieu, devant ta face !
Témoin toujours présent qu’aucune ombre n’efface,
Voilà ce qu’on étale à tes yeux éternels !
Quoi ! le sang fume aux mains de tous ces criminels !
Quoi ! les morts, vierge, enfant, vieillards et femmes grosses,
Ont à peine eu le temps de pourrir dans leurs fosses !
Quoi ! Paris saigne encor ! quoi, devant tous les yeux,
Son faux serment est là qui plane dans les cieux !
Et voilà comme parle un tas d’êtres immondes !
O noirs bouillonnements des colères profondes !
Et maint vivant, gavé, triomphant et vermeil,
Reprend : – ce bruit qu’on fait dérange mon sommeil.
Tout va bien. Les marchands triplent leurs clientèles,
Et nos femmes ne sont que fleurs et que dentelles !
– De quoi donc se plaint-on ? crie un autre quidam,
En flânant sur l’asphalte et sur le macadam,
Je gagne tous les jours trois cents francs à la Bourse.
L’argent coule aujourd’hui comme l’eau d’une source ;
Les ouvriers maçons ont trois livres dix sous,
C’est superbe ; Paris est sens dessus dessous.
Il paraît qu’on a mis dehors les démagogues.
Tant mieux. Moi j ’applaudis les bals et les églogues
Du prince qu’autrefois à tort je reniais.
Que m’importe qu’on ait chassé quelques niais ?
Quant aux morts, ils sont morts ! paix à ces imbéciles !
Vivent les gens d’esprit ! vivent ces temps faciles
Où l’on peut à son choix prendre pour nourricier
Le crédit mobilier ou le crédit foncier !
La république rouge aboie en ses cavernes,
C’est affreux ! liberté, droits, progrès, balivernes !
Hier encor j’empochais une prime d’un franc ;
Et moi, je sens fort peu, j ’en conviens, je suis franc,
Les déclamations m’étant indifférentes,
La baisse de l’honneur dans la hausse des rentes.
Ô langage hideux ! on le tient ! on l’entend !
Eh bien, sachez-le donc, repus au cœur content,
Que nous vous le disions bien une fois pour toutes,
Oui, nous, les vagabonds dispersés sur les routes,
Errant sans passeport, sans nom et sans foyer,
Nous autres, les proscrits qu’on ne fait pas ployer,
Nous qui n’acceptons point qu’un peuple s’abrutisse,
Qui d’ailleurs, ne voulons, tout en voulant justice,
D’aucune représaille et d’aucun échafaud,
Nous, dis-je, les vaincus sur qui Mandrin prévaut,
Pour que la liberté revive, et que la honte
Meure, et qu’à tous les fronts l’honneur serein remonte,
Pour affranchir Romains, Lombards, Germains, Hongrois,
Pour faire rayonner, soleil de tous les droits,
La République mère au centre de l’Europe,
Pour réconcilier le palais et l’échoppe,
Pour faire refleurir la fleur Fraternité,
Pour fonder du travail le droit incontesté ;
Pour tirer les martyrs de ces bagnes infâmes,
Pour rendre aux fils le père et les maris aux femmes,
Pour qu’enfin ce grand siècle et cette nation
Sortent du Bonaparte et de l’abjection,
Pour atteindre à ce but où notre âme s’élance,
Nous nous ceignons les reins dans l’ombre et le silence ;
Nous nous déclarons prêts – prêts, entendez-vous bien ?
Le sacrifice est tout, la souffrance n’est rien,
Prêts, quand Dieu fera signe, à donner notre vie ;
Car, à voir ce qui vit, la mort nous fait envie,
Car nous sommes tous mal sous ce drôle effronté
Vivant, nous sans patrie, et vous sans liberté !
Oui, sachez-le, vous tous que l’air libre importune
Et qui dans ce fumier plantez votre fortune,
Nous ne laisserons pas le peuple s’assoupir ;
Oui, nous appellerons, jusqu’au dernier soupir,
Au secours de la France aux fers et presque éteinte,
Comme nos grands aïeux, l’insurrection sainte ;
Nous convierons Dieu-même à foudroyer ceci ;
Et c’est notre pensée et nous sommes ainsi,
Aimant mieux, dût le sort nous broyer sous sa roue,
Voir couler notre sang que croupir votre boue.
Les châtiments Livre VI
Victor Hugo