Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. Il est interrompu d’abord par des violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le Guet, composé de musiciens et de danseurs.
POLICHINELLE
Ô amour, amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle ? à quoi t’amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit; et tout cela pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne, une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus. Tu le veux, amour: il faut être fou comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge; mais qu’y faire ? On n’est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes.
Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n’y a rien parfois qui soit si touchant qu’un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. Ô nuit ! Ô chère nuit ! Porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible.
Il chante ces paroles:
Notte e dì v’amo e v’adoro,
Cerco un si per mio ristoro;
Ma se voi dite di no,
Bell’ingrata, io morirò.
Fra la speranza
S’afflige il cuore,
In lontananza
Consuma l’hore;
Si dolce inganno
Che mi figura
Breve l’affanno
Ahi ! Troppo dura !
Cosi per tropp’amar languisco e muoro.
Notte e dì v’amo e v’adoro,
Cerco un sì per mio ristoro;
Ma se voi dite di no,
Bell’ingrata, io morirò.
Se non dormite,
Almen pensate
Alle ferite
Ch’al cuor mi fate;
Deh ! Almen fingete,
Per mio conforto,
Se m’uccidete,
D’haver il torto:
Vostra pietà mi scemerà il martoro.
Notte e dì v’amo e v’adoro,
Cerco un sì per mio ristoro,
Ma se voi dite di no,
Bell’ingrata, io morirò.
Une VIEILLE se présente à la fenêtre, et répond au seignor Polichinelle en se moquant de lui.
Zerbinetti, ch’ogn’hor con finti sguardi,
Mentiti desiri,
Fallaci sospiri,
Accenti bugiardi,
Di fede vi pregiate,
Ah ! che non m’ingannate,
Che già so per prova
Ch’in voi non si trova
Constanza ne fede:
Oh ! quanto è pazza colei che vi crede !
Quei sguardi languidi
Non m’innamorano,
Quei sospir fervidi
Più non m’infiammano,
Vel giuro a fè.
Zerbino misero,
Del vostro piangere
Il mio cor libero
Vuol sempre ridere,
Credet’a me:
Che già so per prova
Ch’in voi non si trova
Constanza ne fede:
Oh ! quanto è pazza colei che vi crede !
VIOLONS
POLICHINELLE
Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix ?
VIOLONS
POLICHINELLE
Paix là, taisez-vous, VIOLONS Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon inexorable.
VIOLONS
POLICHINELLE
Taisez-vous vous dis-je. C’est moi qui veux chanter.
VIOLONS
POLICHINELLE
Paix donc.
VIOLONS
POLICHINELLE
Ouais !
VIOLONS
POLICHINELLE
Ahi !
VIOLONS
POLICHINELLE
Est-ce pour rire ?
VIOLONS
POLICHINELLE
Ah ! que de bruit !
VIOLONS
POLICHINELLE
Le diable vous emporte !
VIOLONS
POLICHINELLE
J’enrage.
VIOLONS
POLICHINELLE
Vous ne vous tairez pas ? Ah, Dieu soit loué !
VIOLONS
POLICHINELLE
Encore ?
VIOLONS
POLICHINELLE
Peste des violons !
VIOLONS
POLICHINELLE
La sotte musique que voilà !
VIOLONS
POLICHINELLE
La, la, la, la, la, la.
VIOLONS
POLICHINELLE
La, la, la, la, la, la.
VIOLONS
POLICHINELLE
La, la, la, la, la, la.
VIOLONS
POLICHINELLE
La, la, la, la, la, la.
VIOLONS
POLICHINELLE
La, la, la, la, la.
VIOLONS
POLICHINELLE, avec un luth, dont il ne joue que des lèvres et de la langue, en disant plin, tan, plan, etc.
Par ma foi ! cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire Taire. La musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. Ho sus, à nous ! Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un luth d’accord. Plin, plin, plin. Plin tan plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plan. J’entends du bruit, mettons mon luth contre la porte.
ARCHERS, passant dans la rue, accourent au bruit qu’ils entendent et demandent:
Qui va là, qui va là ?
POLICHINELLE
Qui diable est-ce là ? Est-ce que c’est la mode de parler en musique ?
ARCHERS
Qui va là, qui va là, qui va là ?
POLICHINELLE, épouvanté.
Moi, moi, moi.
ARCHERS
Qui va là, qui va là ? vous dis-je.
POLICHINELLE
Moi, moi, vous dis-je.
ARCHERS
Et qui toi, et qui toi ?
POLICHINELLE
Moi, moi, moi, moi, moi, moi.
ARCHERS
Dis ton nom, dis ton nom, sans davantage attendre.
POLICHINELLE, feignant d’être bien hardi.
Mon nom est: “va te faire pendre.”
ARCHERS
Ici, camarades, ici.
Saisissons l’insolent qui nous répond ainsi.
ENTRÉE DE BALLET
Tout le Guet vient, qui cherche Polichinelle dans la nuit.
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Qui va là ?
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Qui sont les coquins que j’entends ?
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Euh ?
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Holà, mes laquais, mes gens !
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Par la mort !
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Par la sang !
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
J’en jetterai par terre.
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton !
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE
Donnez-moi mon mousqueton.
VIOLONS ET DANSEURS
POLICHINELLE fait semblant de tirer un coup de pistolet.
Poue.
Ils tombent tous et s’enfuient.
POLICHINELLE, en se moquant.
Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l’épouvante ! Voilà de sottes gens d’avoir peur de moi, qui ai peur des autres. Ma foi ! Ii n’est que de jouer d’adresse en ce monde. Si je n’avais tranché du grand seigneur, et n’avais fait le brave, ils n’auraient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah.
Les archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu’il disait, ils le saisissent au collet.
ARCHERS
Nous le tenons. à nous, camarades, à nous:
Dépêchez, de la lumière.
BALLET
Tout le Guet vient avec des lanternes.
ARCHERS
Ah, traître ! ah, fripon ! C’est donc vous ?
Faquin, maraud, pendard, impudent, téméraire,
Insolent, effronté, coquin, filou, voleur,
Vous osez nous faire peur ?
POLICHINELLE
Messieurs, c’est que j’étais ivre.
ARCHERS
Non, non, bon, point de raison:
Il faut vous apprendre à vivre.
En prison, vite, en prison.
POLICHINELLE
Messieurs, je ne suis point voleur.
ARCHERS
En prison.
POLICHINELLE
Je suis un bourgeois de la ville.
ARCHERS
En prison.
POLICHINELLE
Qu’ai-je fait ?
ARCHERS
En prison, vite en prison.
POLICHINELLE
Messieurs, laissez-moi aller.
ARCHERS
Non.
POLICHINELLE
Je vous prie.
ARCHERS
Non.
POLICHINELLE
Eh !
ARCHERS
Non.
POLICHINELLE
De grâce.
ARCHERS
Non, non.
POLICHINELLE
Messieurs.
ARCHERS
Non, non, non.
POLICHINELLE
S’il vous plaît.
ARCHERS
Non, non.
POLICHINELLE
Par charité.
ARCHERS
Non, non.
POLICHINELLE
Au nom du Ciel !
ARCHERS
Non, non.
POLICHINELLE
Miséricorde !
ARCHERS
Non, non, non, point de raison:
Il faut vous apprendre à vivre.
En prison vite, en prison.
POLICHINELLE
Eh ! n’est-il rien, messieurs, qui soit capable d’attendrir vos âmes ?
ARCHERS
Il est aisé de nous toucher,
Et nous sommes humains plus qu’on ne saurait croire:
Donnez-nous doucement six pistoles pour boire,
Nous allons vous lâcher.
POLICHINELLE
Hélas ! Messieurs, je vous assure que je n’ai pas un sol sur moi.
ARCHERS
Au défaut de six pistoles,
Choisissez donc sans façon
D’avoir trente croquignoles,
Ou douze coups de bâton.
POLICHINELLE
Si c’est une nécessité, et qu’il faille en passer par là, je choisis les croquignoles.
ARCHERS
Allons, préparez-vous,
Et comptez bien les coups.
BALLET
Les Archers danseurs lui donnent des croquignoles en cadence.
POLICHINELLE
Un et deux, trois et quatre, cinq et six, sept et huit, neuf et dix, onze et douze, et treize, et quatorze, et quinze.
ARCHERS
Ah, ah ! vous en voulez passer:
Allons, c’est à recommencer.
POLICHINELLE
Ah ! Messieurs, ma pauvre tête n’en peut plus, et vous venez de me la rendre comme une pomme cuite. J’aime mieux encore les coups de bâtons que de recommencer.
ARCHERS
Soit ! puisque le bâton est pour vous plus charmant,
Vous aurez contentement.
BALLET
Les Archers danseurs lui donnent des coups de bâtons en cadence.
POLICHINELLE
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n’y saurais plus résister. Tenez, Messieurs, voilà six pistoles que je vous donne.
ARCHERS
Ah, l’honnête homme ! Ah, l’âme noble et belle !
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.
POLICHINELLE
Messieurs, je vous donne le bonsoir.
ARCHERS
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.
POLICHINELLE
Votre serviteur.
ARCHERS
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.
POLICHINELLE
Très humble valet.
ARCHERS
Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.
POLICHINELLE
Jusqu’au revoir.
BALLET
Ils dansent tous, en réjouissance de l’argent qu’ils ont reçu.
Le théâtre change et représente encore une chambre.
Le malade imaginaire PREMIER INTERMÈDE
Le malade imaginaire
PREMIER INTERMÈDE de le malade imaginaire
La pièce de Théâtre Le malade imaginaire par Molière