Argan, Toinette, Cléante
Argan
Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin, dans ma chambre, douze allées et douze venues; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long ou en large.
Toinette
Monsieur, voilà un…
Argan
Parle bas, pendarde ! tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades.
Toinette
Je voulais vous dire, monsieur…
Argan
Parle bas, te dis-je.
Toinette
Monsieur…
Elle fait semblant de parler.
Argan
Eh ?
Toinette
Je vous dis que…
Elle fait semblant de parler.
Argan
Qu’est-ce que tu dis ?
Toinette, haut. Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.
Argan
Qu’il vienne. Toinette fait signe à Cléante d’avancer.
Cléante
Monsieur…
Toinette, raillant. Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de monsieur.
Cléante
Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux.
Toinette, feignant d’être en colère. Comment ! qu’il se porte mieux ! cela est faux. Monsieur se porte toujours mal.
Cléante
J’ai ouï dire que monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage.
Toinette
Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.
Argan
Elle a raison.
Toinette
Il marche, dort, mange et boit tout comme les autres; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit fort malade.
Argan
Cela est vrai.
Cléante
Monsieur, j’en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de mademoiselle votre fille; il s’est vu obligé d’aller à la campagne pour quelques jours; et, comme son ami intime, il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà.
Argan
Fort bien. A Toinette. Appelez Angélique.
Toinette
Je crois, monsieur, qu’il sera mieux de mener monsieur à sa chambre.
Argan
Non. Faites-la venir.
Toinette
Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s’ils ne sont en particulier.
Argan
Si fait, si fait.
Toinette
Monsieur, cela ne fera que vous étourdir; et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’état où vous êtes, et vous ébranler le cerveau.
Argan
Point, point: j’aime la musique, et je serai bien aise de… Ah ! la voici. Allez-vous-en voir, vous, si ma femme est habillée.
Le malade imaginaire ACTE II Scène 2
Le malade imaginaire
ACTE II Scène 2 de le malade imaginaire
La pièce de Théâtre Le malade imaginaire par Molière