Béline, Angélique, Toinette, Argan
Argan
Ah ! ma femme, approchez.
Béline
Qu’avez-vous, mon pauvre mari ?
Argan
Venez-vous-en ici à mon secours.
Béline
Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit fils ?
Argan
Ma mie !
Béline
Mon ami !
Argan
On vient de me mettre en colère.
Béline
Hélas ! pauvre petit mari ! Comment donc, mon ami ?
Argan
Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.
Béline
Ne vous passionnez donc point.
Argan
Elle m’a fait enrager, ma mie.
Béline
Doucement, mon fils.
Argan
Elle a contrecarré, une heure durant, les choses que je veux faire.
Béline
Là, là, tout doux !
Argan
Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.
Béline
C’est une impertinente.
Argan
Vous savez, mon cœur, ce qui en est.
Béline
Oui, mon cœur; elle a tort.
Argan
M’amour, cette coquine-là me fera mourir.
Béline
Eh là ! eh là !
Argan
Elle est cause de toute la bile que je fais.
Béline
Ne vous fâchez point tant.
Argan
Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.
Béline
Mon Dieu ! mon fils, il n’y a point de serviteurs et de servantes qui n’aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités, à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle; et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l’on prend. Holà ! Toinette !
Toinette
Madame ?
Béline
Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère ?
Toinette, d’un ton doucereux.
Moi, madame ? Hélas ! je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à monsieur en toutes choses.
Argan
Ah ! la traitresse !
Toinette
Il nous a dit qu’il voulait donner sa fille en mariage au fils de monsieur Diafoirus; je lui ai répondu que je trouvais le parti avantageux pour elle, mais que je croyais qu’il ferait mieux de la mettre dans un couvent.
Béline
Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.
Argan
Ah ! m’amour, vous la croyez ? C’est une scélérate; elle m’a dit cent insolences.
Béline
Eh bien, je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Ecoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l’accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles: il n’y a rien qui enrhume tant que de prendre l’air par les oreilles.
Argan
Ah ! ma mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !
Béline, accommodant les oreillers qu’elle met autour d’Argan.
Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.
Toinette, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant.
Et celui-ci pour vous garder du serein.
Argan se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette.
Ah ! coquine, tu veux m’étouffer.
Béline
Hé, là ! hé, là ! Qu’est-ce que c’est donc ?
Argan, tout essoufflé, se jette dans sa chaise.
Ah ! ah ! ah ! je n’en puis plus.
Béline
Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.
Argan
Vous ne connaissez pas, m’amour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m’a mis tout hors de moi; et il faudra plus de huit médecines et de douze lavements pour réparer tout ceci.
Béline
Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.
Argan
Ma mie, vous êtes toute ma consolation.
Béline
Pauvre petit fils !
Argan
Pour tâcher de reconnaître l’amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ai dit, faire mon testament.
Béline
Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie: je ne saurais souffrir cette pensée; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.
Argan
Je vous avais dit de parler pour cela à votre notaire.
Béline
Le voilà là-dedans, que j’ai amené avec moi.
Argan
Faites-le donc entrer, m’amour.
Béline
Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n’est guère en état de songer à tout cela.
Le malade imaginaire ACTE I Scène 6
Le malade imaginaire
ACTE I Scène 6 de le malade imaginaire
La pièce de Théâtre Le malade imaginaire par Molière