Angélique, Toinette
Angélique, la regardant d’un oeil languissant, lui dit confidemment.
Toinette !
Toinette
Quoi ?
Angélique
Regarde-moi un peu.
Toinette
Eh bien ! je vous regarde.
Angélique
Toinette !
Toinette
Eh bien, quoi, Toinette ?
Angélique
Ne devines-tu point de quoi je veux parler ?
Toinette
Je m’en doute assez: de notre jeune amant; car c’est sur lui depuis six jours que roulent tous nos entretiens; et vous n’êtes point bien, si vous n’en parlez à toute heure.
Angélique
Puisque tu connais cela, que n’es-tu donc la première à m’en entretenir ? Et que ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours ?
Toinette
Vous ne m’en donnez pas le temps; et vous avez des soins là-dessus qu’il est difficile de prévenir.
Angélique
Je t’avoue que je ne saurais me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi. Mais, dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j’ai pour lui ?
Toinette
Je n’ai garde.
Angélique
Ai-je tort de m’abandonner à ces douces impressions ?
Toinette
Je ne dis pas cela.
Angélique
Et voudrais-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moi ?
Toinette
A Dieu ne plaise !
Angélique
Dis-moi un peu: ne trouves-tu pas, comme moi, quelque chose du ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connaissance ?
Toinette
Oui.
Angélique
Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défense, sans me connaître, est tout à fait d’un honnête homme ?
Toinette
Oui.
Angélique
Que l’on ne peut pas en user plus généreusement ?
Toinette
D’accord.
Angélique
Et qu’il fit tout cela de la meilleure grâce du monde ?
Toinette
Oh ! oui.
Angélique
Ne trouves-tu pas, Toinette, qu’il est bien fait de sa personne ?
Toinette
Assurément.
Angélique
Qu’il a l’air le meilleur du monde ?
Toinette
Sans doute.
Angélique
Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ?
Toinette
Cela est sûr.
Angélique
Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit ?
Toinette
Il est vrai.
Angélique
Et qu’il n’est rien de plus fâcheux que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le ciel nous inspire ?
Toinette
Vous avez raison.
Angélique
Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’aime autant qu’il me le dit ?
Toinette
Eh ! eh ! ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité et j’ai vu de grands comédiens là-dessus.
Angélique
Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu’il parle, serait-il bien possible qu’il ne me dît pas vrai ?
Toinette
En tout cas, vous en serez bientôt éclaircie; et la résolution où il vous écrivit hier qu’il était de vous faire demander en mariage est une prompte voie à vous faire connaître s’il vous dit vrai ou non. Ç’en sera là la bonne preuve.
Angélique
Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun homme.
Toinette
Voilà votre père qui revient.
Le malade imaginaire ACTE I Scène 4
Le malade imaginaire
ACTE I Scène 4 de le malade imaginaire
Le malade imaginaire écrit par Molière sous la protection de Louis XIV
La pièce de Théâtre Le malade imaginaire par Molière