Celle qu’Amour ne désunissait pas
Qui disposait pour nous entre les choses
L’oeuvre excellente et pure de ses pas
Dont les cheveux donnaient le goût de vivre
Et dont les mains faisaient le pain doré
– N’était-ce rien qu’un instant d’équilibre
Par un miracle au hasard préservé ?
Pour un sourire elle consent au monde
Elle s’accorde ou se rompt au plaisir,
Toute inclinée et mêlée à son ombre
Le corps défait par un pauvre désir
Mais qui l’avait de neige couronnée
Comme il la tient perdue entre ses bras
Ayant goûté sa bouche humiliée
Amèrement s’en détache et s’en va
Il s’en va seul, ruiné, regrettant son courage.
Il voit de grosses mains se poser sur ses dieux
Les dames se repeindre et rire les messieurs
L’or aux dents, le soleil au milieu du visage
Il voit de beaux enfants rayonnants de jeunesse
Tendrement sous les bras saisissant une chair
Donner de leur substance à des femmes ouvertes
Et chercher de l’amour dans ces ventres déserts
Il voit briller l’éclair sur les maisons du monde,
Les morts en habit noir dans les fêtes de nuit,
Les lâches, les tricheurs, enfermés par la honte,
Que le jour du seigneur trouve nus dans leur lit
Il voit se dénouer le choeur des jeunes filles
Celle-ci recevoir un baiser triste et bas,
Celle-là prisonnière aux genoux d’une amie,
Cette autre douce-ardente, et seule, dans ses bras.
Il voit le peuple humain s’enivrer de soi-même.
– Qu’il montre sa blessure, on y met un baiser –
Mais comment pourrait-il accepter ce qu’ils aiment ?
Il veut pour sa patrie un sol immaculé
Les arbres parlent seuls dans le vent de la ville
Ils gardent leurs secrets, ils perdent leurs oiseaux
– Mais on fait ce qu’on veut de leur force immobile
Et leurs maîtres les ont plantés sur des tombeaux
La mer toute-puissante, aujourd’hui blanche et noire
Laisse trop de vivants parcourir sa beauté ;
Ils font leurs pauvres tours au milieu de sa gloire
Elle brille, s’élance – et se couche à leurs pieds
Le ciel même se voit expliquer par la terre :
Ses étoiles ne sont que des mondes mortels
Le visage de l’homme arrête la lumière
Il regarde en riant l’équilibre du ciel
Partout tombe, s’agite, et parle cette bande.
Celui qui se refuse et veut se passer d’eux
Comme un joueur ruiné prisonnier dans sa chambre
N’a plus qu’à se remettre entre les mains de Dieu
– Il compose des vers mystérieux et sages,
Lentement, pleins de sens et de sérénité
– Puis se couche et s’endort, ayant fait son ouvrage
Et repris dans son corps le pouvoir de chanter.
– Beaucoup plus tard, un jour sans tache, un jour sans ombre
– Beaucoup plus tard un air d’eau neuve, un oiseau blanc…
L’homme s’éveille, et s’émerveille, et vient au monde,
Et laisse aller en liberté son coeur battant…
Que de beauté ! Les arbres font leur grand murmure,
La mer et le soleil du matin sont unis…
Voici le ciel dans les chemins de l’aventure
Voici cet homme – et son amour est devant lui
Le corps fermé
Odilon-Jean Périer