L’Avare ACTE II Scène 3
Harpagon, Cléante.
Harpagon
C’est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables !
Cléante
C’est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !
Harpagon
Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ?
Cléante
Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ?
Harpagon
N’as-tu point de honte, dis-moi, d’en venir à ces débauches-là, de te précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse dissipation du bien que tes parents t’ont amassé avec tant de sueurs ?
Cléante
Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les commerces que vous faites; de sacrifier gloire et réputation au désir insatiable d’entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait d’intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu’aient jamais inventées les plus célèbres usuriers ?
Harpagon
Ôte-toi de mes yeux, coquin ! ôte-toi de mes yeux !
Cléante
Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n’a que faire ?
Harpagon
Retire-toi, te dis-je, et ne m’échauffe pas les oreilles. (Seul.) Je ne suis pas fâché de cette aventure; et ce m’est un avis de tenir l’oeil plus que jamais sur toutes ses actions.
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière