Frêle Démon, morne prince des Songes,
Qui n’entretiens l’âme que de mensonges,
Si c’est de toi de qui je dois tenir
Tout le bonheur qui me doit advenir,
Si ton pouvoir d’une erreur favorable
Peut adoucir l’ennui d’un misérable,
Si la froideur et l’ombre du sommeil
Ont la vertu de produire un soleil,
De cent pavots je te fais sacrifice ;
Suspends bientôt mes sens de leur office,
Et de glaçons en ta caverne pris,
Bouchant l’artère où passent mes esprits,
Pour contenter mon amoureuse envie,
Dépouille-moi des marques de la vie,
Et de la sorte, agréable trompeur,
Viens me former un bien d’une vapeur.
Recueille-moi les plus aimables choses,
Mêle en un teint des lys avec des roses,
Sous des flots d’or enflés par des Zéphyrs.
Mets un éclat dans des yeux de saphirs
Dont la douceur à la rigueur s’assemble
Pour embraser et glacer tout ensemble.
Choisis encor deux des plus beaux rubis
Qui le matin brillent sur les habits
Que prend l’Aurore en sortant de sa couche,
Et les joignant, dépeins-moi cette bouche
Où la nature a dedans et dehors
D’esprit de rose embaumé des trésors,
Et qui recèle un nectar à qui cède
Cette boisson que verse Ganymède.
De lait de neige ou d’albâtre vivant
Par intervalle à la fois se mouvant,
Fais éclater la blancheur de deux pommes
A mettre en guerre et les Dieux et les hommes.
Porte les yeux sur ces divinités
De qui Pâris régla les vanités ;
Observe bien cette troupe admirable
De taille auguste et de grâce adorable,
Vois ses beautés, et d’un soin complaisant
Dérobe-les pour m’en faire un présent.
Les Amours de Tristan
François Tristan L’Hermite