La Taupe
Poil de Carotte trouve dans son chemin une taupe, noire comme un ramonat (raifort). Quand il a bien joué avec, il se décide à la tuer. Il la lance en l’air plusieurs fois, adroitement, afin qu’elle puisse retomber sur une pierre.
D’abord, tout va bien et rondement.
Déjà la taupe s’est brisé les pattes, fendu la tête, cassé le dos, et elle semble n’avoir pas la vie dure.
Puis, stupéfait, Poil de Carotte s’aperçoit qu’elle s’arrête de mourir. Il a beau la lancer assez haut pour couvrir une maison, jusqu’au ciel, ça n’avance plus.
— Mâtin de mâtin ! elle n’est pas morte, dit-il.
En effet, sur la pierre tachée de sang, la taupe se pétrit; son ventre plein de graisse tremble comme une gelée, et, par ce tremblement, donne l’illusion de la vie.
— Mâtin de mâtin ! crie Poil de Carotte qui s’acharne, elle n’est pas encore morte !
Il la ramasse, l’injurie et change de méthode.
Rouge, les larmes aux yeux, il crache sur la taupe et la jette de toutes ses forces, à bout portant, contre la pierre. Mais le ventre informe bouge toujours.
Et plus Poil de Carotte enragé tape, moins la taupe lui parait mourir.
La Taupe
Un chapitre de poil de Carotte par Jules Renard