La Gouvernante Importune

Dans  Plaintes d'Acante
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Vieux Singe au visage froncé
De qui tous les Pages se rient,
Et dont le seul nom prononcé
Fait taire les enfants qui crient.
Vieux simulachre de la Mort,

Qui nous importunes si fort
Par le chagrin de ta vieillesse ;
A parler sans déguisement,
Le temps avec trop de paresse
Te traîne vers le monument.

Il n’est point de chesnes plus vieux,
Ny de Corneilles plus antiques ;
Tu peux avoir vû de tes yeux
Tout ce qu’on lit dans nos Croniques :
Tes membres saisis d’un frisson
Tremblent de la mesme façon
Que font les feuilles en Autonne :
Tu ne fais plus rien que cracher,
Et toute la terre s’estonne
De te voir encore marcher.

Mais on ne vit plus si long-temps :
Ton corps devenu pourriture,
A payé depuis cinquante ans
Ce qu’il devoit à la Nature ;
Qui t’a fait sortir du Tombeau?
Caron t’avoit en son basteau
Mise au dela du fleuve sombre :
Et rompant ton dernier sommeil
Lors que tu n’es plus rien qu’une ombre
Tu viens esclairer mon Soleil.

Rentre dans ton dernier repos,
Squelette couvert de poussiere,
Que par de magiques propos
On a fait sortir de la biere.
Ou si pour faire des Sabats
Tu dois demeurer icy bas,
Par un ordre des Destinées :
Va te retirer dans les trous
De ces maisons abandonnées,
Où ne hantent que les hibous.

Pourquoy viens-tu dans cette Cour,
Pour y choquer la complaisance ?
Tousjours les Graces & l’Amour
Y languissent en ta presence :
Les ris, les jeux, & les plaisirs
Que le sujet de mes desirs
Fait par tout éclore à sa veuë,
Fuyant tes importunitez
Prennent l’essor à ta venuë
Ainsi qu’oiseaux espouventez.

C’est toy qui murmure tousjours
Quand je parle avec Angelique,
Accusant d’innocens discours
De quelque mauvaise pratique.

C’est toy qui d’un coeur obstiné
Fais la ronde autour de Daphné,
Rendant son accez difficile,
Et qui ne sçaurois endurer
Que Mirtil ait pour Amarille
La liberté de souspirer.

Deuant toy l’on ne peut parler
Auec pretexte legitime :
Dire bon jour c’est cajoler,
Et tourner l’oeil c’est faire un crime.
Ton humeur pleine de soupçons
Fait de ridicules leçons
A des coeurs exempts de malice,
Et tes deffences bien souvent
Leur enseignent des artifices
Qu’ils ignoroient auparavant.

La Vertu froide et sans couleur
En ternit sa grace immortelle,
Et souspire avecque douleur
Voyant qu’elle est souz ta tutelle :
Elle a descrié ton suport,
Ne pouvant souffrir sans effort
Les soins dont ton esprit s’acquite :
Car ton sens débile & leger
Se rend oppresseur du merite,
Qu il s’ingere de proteger.

Avec d’importunes clartez
Tu veilles de trop belles choses,
Qui te void parmy ces Beautez
Void un serpent parmy des roses,
Mais tu fais beaucoup plus de mal
Que ce dangereux animal,
Si l’on en croit la Renommée ;
Car tu piques en trahizon
D’une sagette envenimée
Qui n’a point de contrepoison.

Quand tu m’as blessé jusqu’au coeur
Par tes inhumaines censures,
Tu soustrais avecque rigueur
Les apareils de mes blessures :
Angelique cherche par fois
Dans le ton charmant de sa voix
Quelque douceur qui me console :
Mais tu l’appercois promptement
Et viens retrancher sa parole
Dés le premier mot seulement.

Desormais aplique toy mieux,
Prenant garde à ce qui te touche ;
Fay tarir la glus de tes yeux,
Et non pas le miel de sa bouche ;
N’espan plus la mauvaise odeur
D’une criminelle laideur
Parmy des beautez innocentes :
Au lieu de tant de traits laschez
Qui blessent des vertus naissantes
Repren toy de tes vieux pechez.

 

Plaintes d’Acante

François Tristan L’Hermite



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