La maison, aujourd’hui ferme, jadis château,
A bon air. Un fossé l’entoure ; un vieux bateau,
Plein de feuillage mort, pourrit là, sous le saule.
Par l’étroit pont de pierre où la volaille piaule
Répondant à grands cris aux canards du fossé,
Et par la voûte sombre au cintre surbaissé,
On entre dans la cour spacieuse et carrée
Que jonchent le fumier et la paille dorée.
Avant le déjeuner, parfois j’en fais le tour.
Je regarde rentrer les bêtes de labour,
Gros chevaux pommelés, les pieds velus, la queue
Troussée, avec le lourd collier de laine bleue,
Le gland rouge à l’oreille, et le grossier harnais.
Je fus un paysan jadis, je m’y connais,
Je parle aux laboureurs, je leur dis ma recette
Pour extirper du blé la nielle et la luzette
Et que le temps humide est meilleur pour faucher.
La grosse cuisinière alors vient me chercher ;
Je rentre dans la salle à manger confortable
Où je trouve Suzanne arrangeant sur la table
Les fruits de la saison dans un grand plat de Gien.
On déjeune gaîment. Quelquefois le vieux chien
Qu’on tolère au logis, car il n’est plus ingambe,
Vient poser en grondant sa gueule sur ma jambe
Pour avoir un morceau qu’il avale d’un coup.
En prenant le café, nous fumons, pas beaucoup.
Puis mes hôtes vont voir leurs travaux de campagne,
Ils prennent le panier, et je les accompagne.
La voiture d’osier a trois places. Devant,
La chère blonde, avec son voile brun au vent,
– Tandis que le papa maintient au trot Cocotte, –
Se retourne, voulant mettre dans la capote
Son parasol doublé de vert et ses bouquets.
Moi, derrière, occupant le siège du laquais,
Pour l’aider je m’incline, et je la touche presque.
– Et nous suivons alors un chemin pittoresque,
Où souvent, par-dessus les grands épis penchés,
Nous regardent de loin les pointes des clochers.