à Gérard, poète
Sous le soleil torride au beau pays créole,
Où l’Africain se courbe au bambou de l’Anglais,
Encontre l’ouragan, le palmier qui s’étiole
Aux bras d’une liane unit son bois épais.
En nos antiques bois, le gui, saint parasite,
Au giron d’une yeuse et s’assied et s’endort ;
Mêlant sa fragile herbe, et subissant le sort
Du tronc religieux qui des autans l’abrite.
Gui ! liane ! palmier ! mon âme vous envie !
Mon coeur voudrait un lierre et s’enlacer à lui.
Pour passer mollement le gué de cette vie,
Je demande une femme, une amie, un appui !
– Un ange d’ici-bas ?… une fleur, une femme ?…
Barde, viens, et choisis dans ce folâtre essaim
Tournoyant au rondeau d’un preste clavecin. –
Non; mon coeur veut un coeur qui comprenne son âme.
Ce n’est point au théâtre, aux fêtes, qu’est la fille
Qui pourrait sur ma vie épancher le bonheur :
C’est aux champs, vers le soir, groupée en sa mantille,
Un Verther à la main sous le saule pleureur.
Ce n’est point une brune aux cils noirs, l’air moresque ;
C’est un cygne indolent; une Ondine aux yeux bleus
Aussi grands qu’une amande, et mourans, soucieux ;
Ainsi qu’en réfléchit le rivage tudesque.
Quand viendra cette fée ? – En vain ma voix l’appelle !
Apporter ses printemps à mon coeur isolé.
Pourtant jusqu’aux cyprès je lui serais fidèle !
Sur la plage toujours resterai-je esseulé ?
Sur mon toit le moineau dort avec sa compagne ;
Ma cavale au coursier a donné ses amours.
Seul, moi, dans cet esquif, que nul être accompagne,
Sur le torrent fougueux je vois passer mes jours.
Rhapsodies
Petrus Borel