Horace ACTE II Scène V

Dans  Horace
Evaluer cet article

Horace ACTE II Scène V

Horace par Pierre Corneille

Camille

Iras-tu, Curiace, et ce funeste honneur

Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ?

Curiace

Hélas ! Je vois trop bien qu’il faut, quoi que je fasse,

Mourir, ou de douleur, ou de la main d’Horace.

Je vais comme au supplice à cet illustre emploi,

Je maudis mille fois l’état qu’on fait de moi,

Je hais cette valeur qui fait qu’Albe m’estime;

Ma flamme au désespoir passe jusques au crime,

Elle se prend au ciel, et l’ose quereller;

Je vous plains, je me plains; mais il y faut aller.

Camille

Non; je te connais mieux, tu veux que je te prie

Et qu’ainsi mon pouvoir t’excuse à ta patrie.

Tu n’es que trop fameux par tes autres exploits:

Albe a reçu par eux tout ce que tu lui dois.

Autre n’a mieux que toi soutenu cette guerre;

Autre de plus de morts n’a couvert notre terre:

Ton nom ne peut plus croître, il ne lui manque rien;

Souffre qu’un autre ici puisse ennoblir le sien.

Curiace

Que je souffre à mes yeux qu’on ceigne une autre tête

Des lauriers immortels que la gloire m’apprête,

Ou que tout mon pays reproche à ma vertu

Qu’il aurait triomphé si j’avais combattu,

Et que sous mon amour ma valeur endormie

Couronne tant d’exploits d’une telle infamie !

Non, Albe, après l’honneur que j’ai reçu de toi,

Tu ne succomberas ni vaincras que par moi;

Tu m’as commis ton sort, je t’en rendrai bon conte,

Et vivrai sans reproche, ou périrai sans honte.

Camille

Quoi ! Tu ne veux pas voir qu’ainsi tu me trahis !

Curiace

Avant que d’être à vous, je suis à mon pays.

Camille

Mais te priver pour lui toi-même d’un beau-frère,

Ta sœur de son mari !

Curiace

Telle est notre misère:

Le choix d’Albe et de Rome ôte toute douceur

Aux noms jadis si doux de beau-frère et de sœur.

Camille

Tu pourras donc, cruel, me présenter sa tête,

Et demander ma main pour prix de ta conquête !

Curiace

Il n’y faut plus penser: en l’état où je suis,

Vous aimer sans espoir, c’est tout ce que je puis.

Vous en pleurez, Camille ?

Camille

Il faut bien que je pleure:

Mon insensible amant ordonne que je meure;

Et quand l’hymen pour nous allume son flambeau,

Il l’éteint de sa main pour m’ouvrir le tombeau.

Ce cœur impitoyable à ma perte s’obstine,

Et dit qu’il m’aime encore alors qu’il m’assassine.

Curiace

Que les pleurs d’une amante ont de puissants discours,

Et qu’un bel œil est fort avec un tel secours !

Que mon cœur s’attendrit à cette triste vue !

Ma constance contre elle à regret s’évertue.

N’attaquez plus ma gloire avec tant de douleurs,

Et laissez-moi sauver ma vertu de vos pleurs;

Je sens qu’elle chancelle, et défend mal la place:

Plus je suis votre amant, moins je suis Curiace.

Faible d’avoir déjà combattu l’amitié,

Vaincrait-elle à la fois l’amour et la pitié ?

Allez, ne m’aimez plus, ne versez plus de larmes,

Ou j’oppose l’offense à de si fortes armes;

Je me défendrai mieux contre votre courroux,

Et pour le mériter, je n’ai plus d’yeux pour vous:

Vengez-vous d’un ingrat, punissez un volage.

Vous ne vous montrez point sensible à cet outrage !

Je n’ai plus d’yeux pour vous, vous en avez pour moi !

En faut-il plus encor ? Je renonce à ma foi.

Rigoureuse vertu dont je suis la victime,

Ne peux-tu résister sans le secours d’un crime ?

Camille

Ne fais point d’autre crime, et j’atteste les dieux

Qu’au lieu de t’en haïr, je t’en aimerai mieux;

Oui, je te chérirai, tout ingrat et perfide,

Et cesse d’aspirer au nom de fratricide.

Pourquoi suis-je romaine, ou que n’es-tu romain ?

Je te préparerais des lauriers de ma main;

Je t’encouragerais, au lieu de te distraire;

Et je te traiterais comme j’ai fait mon frère.

Hélas ! J’étais aveugle en mes vœux aujourd’hui;

J’en ai fait contre toi quand j’en ai fait pour lui.

Il revient: quel malheur, si l’amour de sa femme

Ne peut non plus sur lui que le mien sur ton âme !

Horace ACTE II Scène V

La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/