Horace ACTE I Scène II

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Horace ACTE I Scène II

Horace par Pierre Corneille

Camille

Qu’elle a tort de vouloir que je vous entretienne !

Croit-elle ma douleur moins vive que la sienne,

Et que plus insensible à de si grands malheurs,

À mes tristes discours je mêle moins de pleurs ?

De pareilles frayeurs mon âme est alarmée;

Comme elle je perdrai dans l’une et l’autre armée:

Je verrai mon amant, mon plus unique bien,

Mourir pour son pays, ou détruire le mien,

Et cet objet d’amour devenir, pour ma peine,

Digne de mes soupirs, ou digne de ma haine.

Hélas !

Julie

Elle est pourtant plus à plaindre que vous:

On peut changer d’amant, mais non changer d’époux.

Oubliez Curiace, et recevez Valère,

Vous ne tremblerez plus pour le parti contraire;

Vous serez toute nôtre, et votre esprit remis

N’aura plus rien à perdre au camp des ennemis.

Camille

Donnez-moi des conseils qui soient plus légitimes,

Et plaignez mes malheurs sans m’ordonner des crimes.

Quoiqu’à peine à mes maux je puisse résister,

J’aime mieux les souffrir que de les mériter.

Julie

Quoi ! Vous appelez crime un change raisonnable ?

Camille

Quoi ! Le manque de foi vous semble pardonnable ?

Julie

Envers un ennemi qui peut nous obliger ?

Camille

D’un serment solennel qui peut nous dégager ?

Julie

Vous déguisez en vain une chose trop claire:

Je vous vis encore hier entretenir Valère;

Et l’accueil gracieux qu’il recevait de vous

Lui permet de nourrir un espoir assez doux.

Camille

Si je l’entretins hier et lui fis bon visage,

N’en imaginez rien qu’à son désavantage:

De mon contentement un autre était l’objet.

Mais pour sortir d’erreur sachez-en le sujet;

Je garde à Curiace une amitié trop pure

Pour souffrir plus longtemps qu’on m’estime parjure.

Il vous souvient qu’à peine on voyait de sa sœur

Par un heureux hymen mon frère possesseur,

Quand, pour comble de joie, il obtint de mon père

Que de ses chastes feux je serais le salaire.

Ce jour nous fut propice et funeste à la fois:

Unissant nos maisons, il désunit nos rois;

Un même instant conclut notre hymen et la guerre,

Fit naître notre espoir et le jeta par terre,

Nous ôta tout, sitôt qu’il nous eut tout promis,

Et nous faisant amants, il nous fit ennemis.

Combien nos déplaisirs parurent lors extrêmes !

Combien contre le ciel il vomit de blasphèmes !

Et combien de ruisseaux coulèrent de mes yeux !

Je ne vous le dis point, vous vîtes nos adieux;

Vous avez vu depuis les troubles de mon âme;

Vous savez pour la paix quels vœux a faits ma flamme,

Et quels pleurs j’ai versés à chaque événement,

Tantôt pour mon pays, tantôt pour mon amant.

Enfin mon désespoir parmi ces longs obstacles,

M’a fait avoir recours à la voix des oracles.

Écoutez si celui qui me fut hier rendu

Eut droit de rassurer mon esprit éperdu.

Ce Grec si renommé, qui depuis tant d’années

Au pied de l’Aventin prédit nos destinées,

Lui qu’Apollon jamais n’a fait parler à faux,

Me promit par ces vers la fin de mes travaux:

” Albe et Rome demain prendront une autre face;

Tes vœux sont exaucés, elles auront la paix,

Et tu seras unie avec ton Curiace,

Sans qu’aucun mauvais sort t’en sépare jamais. ”

Je pris sur cet oracle une entière assurance,

Et comme le succès passait mon espérance,

J’abandonnai mon âme à des ravissements

Qui passaient les transports des plus heureux amants.

Jugez de leur excès: je rencontrai Valère,

Et contre sa coutume, il ne put me déplaire,

Il me parla d’amour sans me donner d’ennui:

Je ne m’aperçus pas que je parlais à lui;

Je ne lui pus montrer de mépris ni de glace:

Tout ce que je voyais me semblait Curiace;

Tout ce qu’on me disait me parlait de ses feux;

Tout ce que je disais l’assurait de mes vœux.

Le combat général aujourd’hui se hasarde;

J’en sus hier la nouvelle, et je n’y pris pas garde:

Mon esprit rejetait ces funestes objets,

Charmé des doux pensers d’hymen et de la paix.

La nuit a dissipé des erreurs si charmantes:

Mille songes affreux, mille images sanglantes,

Ou plutôt mille amas de carnage et d’horreur,

M’ont arraché ma joie et rendu ma terreur.

J’ai vu du sang, des morts, et n’ai rien vu de suite;

Un spectre en paraissant prenait soudain la fuite;

Ils s’effaçaient l’un l’autre, et chaque illusion

Redoublait mon effroi par sa confusion.

Julie

C’est en contraire sens qu’un songe s’interprète.

Camille

Je le dois croire ainsi, puisque je le souhaite;

Mais je me trouve enfin, malgré tous mes souhaits,

Au jour d’une bataille, et non pas d’une paix.

Julie

Par là finit la guerre, et la paix lui succède.

Camille

Dure à jamais le mal, s’il y faut ce remède !

Soit que Rome y succombe ou qu’Albe ait le dessous,

Cher amant, n’attends plus d’être un jour mon époux;

Jamais, jamais ce nom ne sera pour un homme

Qui soit ou le vainqueur, ou l’esclave de Rome.

Mais quel objet nouveau se présente en ces lieux ?

Est-ce toi, Curiace ? En croirai-je mes yeux ?

Horace ACTE I Scène II

La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.



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