Né le 5 août 1912 à Lyon, Henri Grouès alias l’Abbé Pierre est le fondateur du mouvement Emmaüs. Il est mort de 22 janvier 2007 dans le 5ème arrondissement de Paris à l’âge de 94 ans.
Famille et éducation
Henri Grouès est issu d’une famille bourgeoise fortunée et pieuse de négociants en soie lyonnais. Son père est originaire de Fouillouse à Saint-Paul-sur-Ubaye tandis que sa mère est originaire de Tarare dans le Rhône. Il est le cinquième enfant d’une fratrie de huit. Il a grandi dans une commune du sud-ouest de Lyon, à Irigny.
Il se découvre une âme charitable lorsqu’à 12 ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des Hospitaliers veilleurs, un lieu où les bourgeois se transforment en coiffeurs et barbiers pour les pauvres.
Lorsqu’il fut placé à l’internat Saint-Joseph (aujourd’hui connu sous le nom de lycée Saint-Marc), il a intégré les scouts de France et fut surnommé Castor méditatif.
Quand à 16 ans, il est frappé d’un « coup de foudre avec Dieu » lors d’un pèlerinage à Rome, il souhaite entrer dans les ordres franciscains, mais a dû attendre d’avoir 17 ans et demi pour y intégrer.
Abbé Pierre
Engagement dans les ordres
Il prononce ses vœux chez les capucins en 1931 et renonce à son héritage familial. Il a d’ailleurs tout cédé à des œuvres caritatives. Chez les capucins, il est reçu sous le nom de frère Philippe. Il y passe sept années d’austérité religieuse.
En décembre 1937, il est ordonné diacre par monseigneur Camille Pic. Le 24 août 1938, il est ordonné prêtre à la chapelle du lycée Saint-Marc. Sa santé fragile le pousse à quitter le couvent le 18 avril 1939. Sur l’initiative du cardinal Gerlier, il intègre le diocèse de Grenoble où il fut incardiné le 2 mai 1939 puis nommé vicaire le 14 mai de la même année à la basilique Saint-Joseph de Grenoble.
La deuxième guerre mondiale
Quand la deuxième guerre mondiale éclate en 1939, il est mobilisé sous-officier dans le régiment du train des équipages.
En 1942, il recueille des juifs lors de leur persécution, les aide à obtenir des faux papiers afin de traverser la frontière vers la Suisse.
En 1943, il aide le plus jeune frère du général de Gaulle ainsi que son épouse à passer en Suisse et les confie à l’abbé Marius Jolivet.
Durant la fondation de maquis, il fit la rencontre de Lucie Coutaz qui est restée sa secrétaire particulière jusqu’à sa mort en 1982. L’Abbé Pierre assure que sans elle, il n’aurait pu créer le Mouvement Emmaüs.
Le surnom d’Abbé Pierre est un nom qu’il a adopté en toute clandestinité. Grâce au mouvement Emmaüs, il vient en aide à des centaines de personnes.
En 1944, l’armée allemande l’arrête dans les Pyrénées-Atlantiques puis le relâche. Il passe alors en Espagne puis rejoint le général de Gaulle à Alger via le Gibraltar. Il est nommé aumônier de la Marine à bord du cuirassé Jean Bart à Casablanca.
Il obtient la croix de guerre 1939-1945 avec palme pour ses actions humanitaires. Son âme charitable l’a poussé à s’engager dans des causes en faveur des droits humains même lorsqu’il fallait agir dans l’illégalité.
Au lendemain de la guerre
Le général de Gaulle l’encouragea vivement à se lancer dans la politique, ce qu’il fit après approbation de l’archevêque de Paris. De 1945 à 1946, il fut député de Meurthe-et-Moselle devant les deux assemblées nationales constituantes puis devant l’Assemblée nationale de 1946 à 1951. Il fut d’abord connu sous le nom de Grouès puis en tant que Pierre-Grouès à partir de juin 1946.
En 1947, il est élu vice-président de la Confédération mondiale. En collaboration avec André Gide et Albert Camus, il crée le comité de soutien à Garry Davis, le fondateur du mouvement des citoyens du monde.
Suite à l’incident de Brest en avril 1950 ayant entraîné la mort d’un ouvrier, Edouard Mazé, il quitte son parti politique pour rejoindre la Ligue de la jeune République, un mouvement chrétien socialiste.
Sa carrière politique se termine en 1951 et avec son maigre salaire, revient à ses œuvres caritatives et à sa vocation de prêtre-aumônier. Cela ne l’a toutefois pas empêché de participer à diverses campagnes comme le parrainage du comité pour la défense du droit à l’objection de conscience durant la guerre d’Algérie. Il a vécu cette lutte aux côtés d’Albert Camus, de Jean Cocteau, d’André Breton et de Jean Giono. En décembre 1963, ce comité obtient son statut.
Le Mouvement Emmaüs
C’est en 1949 qu’il fonde le Mouvement Emmaüs. Il s’agit d’une organisation laïque qui lutte contre l’exclusion. Emmaüs est aujourd’hui présent dans 36 pays différents à travers le monde.
Sa rencontre avec George, un homme désespéré qui a tenté de se suicider fut décisif pour le mouvement. L’Abbé Pierre lui a effectivement demandé de le suivre, au lieu de mourir, pour l’aider à aider les autres. L’homme accepte et d’autres personnes se sont vite jointes à leur cause. De là fut créée la première communauté Emmaüs à Neuilly-Plaisance.
Ces mouvements construisent des habitations pour les plus démunis et leur financement repose sur la vente d’objets de récupération et de matériels.
Après sa non-réélection en 1951, il perd ses indemnités d’ex-député et se retrouve chiffonnier, un métier qui consiste à récupérer et vendre des matières premières et d’objets d’occasion. Dans ses propres mots, il déclare :
« Jamais nous n’accepterons que notre subsistance dépende d’autre chose que de notre travail ».
Le maigre argent qu’il a pu récolter en faisant ce métier lui a permis de faire fonctionner Emmaüs.
En mars 1952, il participe au jeu Quitte ou double et gagne 512 000 francs pour financer les actions d’Emmaüs.
Henri Grouès
L’insurrection de la bonté
Malgré ses actions louables, l’Abbé Pierre ne se fit réellement connaître qu’à partir de l’hiver 1954 quand il a donné naissance à l’insurrection de la bonté. Face au froid meurtrier pour les sans-abris, il lance, le 1er février 1954, sur les antennes de Radio-Luxembourg, un appel mémorable surnommé l’ »Appel de l’abbé Pierre.
Suite à cet appel, le mouvement a récolté plus de 500 millions de francs en dons. Charlie Chaplin lui-même en a versé deux millions. Des dons en nature ont également été recueillis. Grâce à ces aides, il a pu faire construire des logements d’urgence pour les plus défavorisés. Si à leur construction, ces bâtisses devaient être temporaires, certains d’entre eux ont été transformés en cités HLM.
Le parlement français a également répondu à son appel après un premier refus. La surprise a toutefois été énorme lorsqu’il a décidé de verser, au lieu du milliard de francs demandé, la somme de dix milliards de crédits.
Cette lutte acharnée de l’abbé Pierre a donné naissance à la loi qui interdit l’expulsion des locataires durant l’hiver. Cette insurrection de la bonté a inspiré Denis Amar pour la production du film Hiver 54, l’abbé Pierre.
L’Association Emmaüs
De nombreux bénévoles provenant de toute la France sont venus pour apporter son soutien à l’abbé Pierre durant l’hiver 1954. Ils ont commencé à lui prêter main forte pour la redistribution des dons puis ont fini par créer des groupes. Le 23 mars 1954, il crée l’Association Emmaüs qui a pour vocation de regrouper toutes les communautés Emmaüs. Au fil du temps, elle a perdu de vue ce rôle premier puisque fut happé par la gestion des centres d’hébergement et d’accueil Emmaüs dans toute la région parisienne.
La majorité des compagnons d’Emmaüs étaient des sans-abris que le mouvement a pu sortir de la misère. Il faut savoir qu’il ne se contente pas de leur donner un toit et les nourrir, mais bon nombre d’entre ces personnes ont également obtenu un travail digne grâce à lui.
Au fur de ses voyages, l’abbé Pierre développe rapidement le mouvement d’abord en France puis en Amérique Latine.
Emmaüs International
Même s’il en est le fondateur avec Lucie Courtaz, l’abbé Pierre n’a jamais œuvré en tant que dirigeant opérationnel du mouvement. Il n’a pas veillé personnellement à toutes les organisations qu’impliquaient les différentes actions menées, mais en tant qu’homme spontané, il aimait surtout créer de nouveaux projets d’aides et de nouvelles structures.
Parmi ces nouveaux projets, il y a la fondation d’Emmaüs International, une idée qui est surgie lorsqu’il a failli mourir dans un naufrage dans le Rio de la Plata. En effet, ayant pris conscience que sa mort pourrait effacer tout pour ce quoi il s’est battu puisqu’il était le seul lien entre toutes les communautés Emmaüs à travers le monde, il a décidé qu’il fallait les réunir sous une seule association.
Malgré sa réticence contre les structurations trop formelles qu’il jugeait trop rigide, il a fini par admettre la nécessité d’un tel processus.
Sa fin de vie
Quand il évoquait sa mort, l’abbé Pierre parlait que ce serait ses « grandes vacances ». Il est parti le 22 janvier 2007 suites à une infection du poumon droit.
Même après sa disparition, tous s’entendaient à faire les éloges de l’abbé Pierre et à reconnaître le travail mémorable qu’il a accompli. De vibrants hommages lui ont été rendus par de hautes personnalités, les associations avec qui il a travaillé, …
Quoi qu’il en soit, sa famille a demandé à ce que ses obsèques se fassent dans la plus stricte intimité. Il repose à Esteville, dans la Seine-Maritime. Un lieu de mémoire, propriété de la Fondation Abbé Pierre y a été érigé.