Je pris de loin Clymène l’autre fois
Pour une Grâce en ses charmes nouvelle
Grâce s’entend, la première des trois;
J’eusse autrement fait tort à cette belle;
Puis approchant et frottant ma prunelle,
Je me repris; et dis soudainement
Voilà Vénus; c’est elle assurément:
Non, je me trompe, et mon œil se mécompte,
Cyprine là ? je faille lourdement;
Telle n’est point la reine d’Amathonte .
Voyons pourtant; car chacun d’une voix
En fait d’appas prend Vénus pour modèle.
Je me mis lors à compter par mes doigts
Tous les attraits de la gente pucelle;
Afin de voir si ceux de l’immortelle
Y cadreraient, à peu prés seulement
Mais le moyen ? je n’ y vins nullement ,
Trouvant ici beaucoup plus que le compte:
Qu’est ceci, dis-je, et quel enchantement ?
Telle n’est point la reine d’Amathonte.
Acante vint tandis que je comptois:
Cette beauté le fit asseoir prés d’elle;
J ‘entendis tout; les Zéphyrs étaient cois.
Plus de cent fois il l’appela cruelle,
Inexorable, a l’Amour trop rebelle;
Et le surplus que dit un pauvre amant.
Clymène oyait cela négligemment.
Le mot d’amour lui donnait quelque honte.
Si de ce dieu la chronique ne ment,
Telle n’est point la reine d’Amathonte
Ne recours plus, Acante, au changement.
Loin de trouver en ce bas élément
Quelque autre objet qui ta dame surmonte,
Dans les palais qui sont au firmament
Telle n’est point la reine d’Amathonte.
APOLLON
Votre tour est venu, Calliope, essayez
Un de ces deux chemins qu’aux auteurs ont frayés
Deux écrivains fameux; je veux dire Malherbe
Qui louait ses héros en un style superbe
Et puis maître Vincent qui même aurait loué
Proserpine et Pluton en un style enjoué.
CALLIOPE
Sire, vous nommez là deux trop grands personnages
Le moyen d’imiter sur-le-champ leurs ouvrages ?
APOLLON
Il faut que je me sois sans doute expliqué mal;
Car vouloir qu’on imite aucun original
N’ est mon but, ni ne doit non plus être le vôtre;
Hors ce qu’on fait passer d’une langue en une autre
C’est un bétail servile et Sot à mon avis
Que les imitateurs; on dirait des brebis
Qui n’osent avancer qu’en suivant la première,
Et s’iraient sur ses pas jeter dans la rivière.
Je veux donc seulement que vous nous fassiez voir,
En ce style où Malherbe a montré son savoir,
Quelque essai des beautés qui sont propres à l’ode,
Ou si ce genre-là n’étant plus à la mode,
Et demandant d’ailleurs un peu trop de loisir,
L’autre vous semble plus selon votre désir,
Vous louiez galamment la maîtresse d’Acante,
Comme maître Vincent dont la plume élégante
Donnait à son encens un goût exquis et fin
Que n’avait pas celui qui partait d’autre main.
CALLIOPE
Je vais, puisqu’il vous plaît, hasarder quelque stance.
Si je débute mal, imposez-moi silence.
APOLLON
Calliope manquer ?
CALLIOPE
Pourquoi non ? très souvent
L’ode est chose pénible; et surtout dans le grand.
Toi qui soumets les dieux aux passions des hommes,
Amour, souffriras-tu qu’en ce siècle où nous sommes
Clymène montre un coeur insensible à tes coups ?
Cette belle devrait donner d’autres exemples:
Tu devrais l’obliger pour l’honneur de tes temples
D’aimer ainsi que nous.
URANIE
Les Muses n’aiment pas.
CALLIOPE
Et qui les en soupçonne ?
Ce nous n’est pas pour nous; je parle en la personne
Du sexe en général, des dévotes d’Amour.
APOLLON
Calliope a raison; quelle achève à son tour.
CALLIOPE
J’en demeurerai la, si vous l’agréez, Sire.
On m’a fait oublier ce que je voulais dire.
APOLLON
A vous donc Polymnie; entrez en lice aussi.
POLYMNIE
Sur quel ton ?
APOLLON
Je vois bien que sur ce dernier-ci
L’on ne réussit pas toujours comme on souhaite.
Calliope a bien fait d’user d’une défaite.
Cette interruption est venue à propos.
C’est pourquoi choisissez des tons un peu moins hauts.
Horace en a de tous, voyez ceux qui vous duisent .
J’aime fort les auteurs qui sur lui se conduisent
Voilà les gens qu’il faut à présent imiter.
POLYMNIE
C’est bien dit, si cela pouvait s’exécuter:
Mais avons-nous l’esprit qu’autrefois à cet homme
Nous savions inspirer sur le déclin de Rome ?
Tout est trop fort déchu dans le sacré vallon.
APOLLON
J’en conviens, jusque même au métier d’Apollon
Il n’est rien qui n’empire, hommes, dieux; mais que faire?
Irons-nous pour cela nous cacher et nous taire ?
Je ne regarde pas ce que j’ étais jadis,
Mais ce que je serai quelque jour si je vis
Nous vieillissons enfin, tout autant que nous sommes
De dieux nés de la Fable, et forgés par les hommes.
Je prévois par mon art un temps, où l’univers
Ne se souciera plus ni d’auteurs, ni de vers.
Où vos divinités périront, et la mienne.
Jouons de notre reste avant que ce temps vienne.
C’est à vous Polymnie à nous entretenir
POLYMNIE
Je songeais aux moyens qu’il me faudrait tenir.
A peine en rencontré – je un seul qui me contente.
Ceci vous plairait-il ? je fais parler Acante.
Qu’une belle est heureuse ! et que de doux moments,
Quand elle en sait user, accompagnent sa vie !
D’un côté le miroir, de l’autre les amants,
Tout la loue; est-il rien de si digne d’envie ?
La louange est beaucoup; l’ amour est plus encore:
Quel plaisir de compter les cœurs dont on dispose !
L’un meurt, L’autre soupire. et l’autre en son transport
Languit et se consume; est-il plus douce chose !
CIymene, usez-en bien: vous n’aurez pas toujours
Ce qui vous rend si fière, et si fort redoutée:
Charon vous passera sans passer les Amours:
Devant ce temps-là même ils vous auront quittée.
Vous vivrez plus longtemps encore que vos attraits:
Je ne vous réponds pas alors d’être fidèle:
Mes désirs languiront aussi bien que vos traits
L’amant se sent déchoir aussi bien que la belle.
Quand voulez-vous aimer que dans votre printemps ?
Gardez-vous bien surtout de remettre à l’automne
L’hiver vient aussitôt: rien n’arrête le temps:
Clymène hâtez-vous; car il n’attend personne.
Sire je m’en tiens là: bien ou mal il suffit:
La morale d’Horace et non pas son esprit
Se peut voir en ces vers.
APOLLON
Erato que veut dire
Que vous qui d’ordinaire aimez si fort à rire
Demeurez taciturne, et laissez tout passer ?
ERATO
Je rêvais, puisqu’il faut, Sire, le confesser.
APOLLON
Sur quoi ?
ERATO
Sur le débat qui s’est ému naguère.
APOLLON
Savoir si vous aimez ?
ERATO
Autrefois j’étais fière
Quand on disait que non; qu’on me vienne aujourd’hui
Demander aimez-vous, je répondrai que oui.
APOLLON
Pourquoi ?
ERATO
Pour éviter le nom de Précieuse.
APOLLON
Si cette qualité vous paraît odieuse,
Du vœu de chasteté l’on vous dispensera.
Choisissez un galant.
ERATO
Non pas Sire cela.
Je veux un peu d’hymen pour colorer l’affaire.
APOLLON
Un peu d’hymen est bon.
ERATO
J’en veux, et n’en veux guère
APOLLON
Vous vous marierez donc ainsi qu’au temps jadis
Oriane épousa Monseigneur Amadis ?
ERATO
Oui Sire.
APOLLON
La méthode en effet en est bonne.
Mais encore avec qui ? car je ne vois personne
Qui veuille dans l’Olympe à l’hymen s’arrêter:
Les Sylvains ne sont pas des gens pour vous tenter.
ERATO
Je prendrais un auteur
APOLLON
Un auteur ? vous déesse ?
Aux auteurs Erato pourrait mettre la presse ?
Ce n’est pas votre fait pour plus d’une raison.
Rarement un auteur demeure à la maison.
ERATO
Justement cela qui m’en plaît davantage.
APOLLON
Nous nous entretiendrons de votre mariage
A fond une autre fois. Cependant chantez-nous
Non pas du serieux, du tendre, ni du doux
Mais de ce qu’en français on nomme bagatelle;
Un jeu dont je voudrais Voiture pour modèle.
Il excelle en cet art: Maître Clément et lui
S’y prenaient beaucoup mieux que nos gens d’aujourd’hui.
ERATO
Sire, j’en ai perdu peu s’en faut l’habitude;
Et ce genre est pour moi maintenant une étude.
Il y faut plus de temps que le monde ne croit.
Agréez, en la place, un dizain.
APOLLON
Dizain soit.
ERATO
Mais n’est-ce point assez célèbre notre belle ?
Quand j’aurai dit les jeux, les ris, et la séquelle
Les grâces, les amours, voilà fait à peu près.
APOLLON
Vous pourrez dire encor les charmes, les attraits,
Les appas.
ERATO
Et puis quoi ?
APOLLON
Cent et cent mille choses.
Je ne vous ai compté ni les lis ni les roses.
On n’a qu’a retourner seulement ces mots-là.
ERATO
La satire en fournit bien d’autres que cela.
Pour un trait de louange. il en est cent de blâme.
APOLLON
Et bien blâmez Clymène à qui d’aucune flamme
On ne peut désormais inspirer le désir.
ERATO
Ce sujet est traité; I’on vient de s’en saisir;
Il a servi de thèse a ma sœur Polymnie.
APOLLON
Cela ne vous fait rien; la chose est infinie;
Toujours notre cabale y trouve à regratter,
ERATO
Sire puisqu’il vous plaît je m’en vais le tenter.
Ma sœur m’excusera si j’enchéris sur elle.
POLYMNIE
Voilà bien des façons pour une bagatelle.
ERATO
C’est qu’elle est de commande.
APOLLON
Et que coûte un dizain?
ERATO
Tout coûte: il faut pourtant que je me mette en train.
Clymène a tort: je suis d’avis qu’elle aime
Notre vassal dès demain au plus tard,
Dès aujourd’hui, dès ce moment-ci même:
Le temps d’aimer n’a si petite part
Qui ne soit chère; et surtout quand on treuve
Un bon amant, un amant a l’épreuve.
Je sais qu’il est des amants à foison;
Tout en fourmille; on n’en saurait que faire;
Mais cent méchants n’en valent pas un bon;
Et ce bon-là ne se rencontre guère.
APOLLON
Il ne nous reste plus qu’Uranie, et c’est fait.
Mais quand j’y pense bien, je trouve qu’en effet
Tant de louange ennuie; et surtout quand on loue
Toujours le même objet: enfin je vous avoue
Que pour peu que durât l’éloge encor de temps
Vous me verriez bailler. Comment peuvent les gens
Entendre sans dormir une oraison funèbre ?
Il n’est panégyriste au monde si célèbre
Qui ne soit un Morphée à tous ses auditeurs.
Uranie, il vous faut reployer vos douceurs:
Aussi bien qui pourrait mieux parler de Clymène
Que l’amoureux Acante ? allons vers l’Hippocrène;
Nous l’y rencontrerons encore assurément.
Ce nous sera sans doute un divertissement.
La solitude est grande autour de ces ombrages.
Que vous semble ? on croirait au nombre des ouvrages
Et des compositeurs (car chacun fait des vers)
Qu’il nous faudrait chercher un mont dans l’univers,
Non pas double mais triple, et de plus d’étendue
Que l’Atlas, cependant ma cour est morfondue;
Je ne rencontre ici que deux ou trois mortels,
Encor très peu dévots à nos sacrés autels.
Cherchez-en la raison dans les Cieux, Uranie.
URANIE
Sire, il n’est pas besoin; et sans l’astrologie
Je vous dirai d’où vient ce peu d’adorateurs.
II est vrai que jamais on n’a vu tant d’auteurs;
Chacun forge des vers; mais pour la poésie,
Cette princesse est morte, aucun ne s’en soucie.
Avec un peu de rime on va vous fabriquer
Cent versificateurs en un jour sans manquer.
Ce langage divin, ces charmantes figures,
Qui touchaient autrefois les âmes les plus dures,
Et par qui les rochers et les bois attirés
Tressaillaient à des traits de l’Olympe admirés,
Cela, dis-je n’est plus maintenant en usage.
On vous méprisé, et nous, et ce divin langage.
Qu’est-ce, dit-on ? des vers; suffit, le peuple y court
Pourquoi venir chercher ces traits en notre cour ?
Sans cela l’on parvient à l’estime des hommes.
APOLLON
Vous en parlez très bien. Mais qu’entends-je ? nous sommes
Auprès de l’Hippocrène: Acante assurément
S’entretient avec elle: écoutons un moment:
C’est lui, j’entends sa voix.