CHANT VI Aurore

Dans  Le Cap Éternité,  Poésies Charles Gill
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Règne en paix sur le fleuve, ô solitude immense !
Ô vent, ne gronde pas ! ô montagnes, dormez !
À l’heure où tout se tait sous les cieux blasphémés,
La voix de l’Infini parle à la conscience.

Entre ces deux géants dont le roc éternel,
Surgi du gouffre noir monte au gouffre du rêve,
La pensée ennoblie et plus grande s’élève
De l’abîme de l’âme à l’abîme du ciel.


Quel monde vois-je ici ! d’où vient la masse d’encre
Qui baigne sur ces bords le granit et le fer ?
Sur quelle nuit, sur quel néant, sur quel enfer
Frémit cette onde où l’homme en vain jetterait l’ancre ?

Du haut des sommets gris, l’ombre comme un linceul
Tombe sur la tristesse et sur la solitude ;
Mon cri trouble un instant la morne quiétude :
Dans l’ombre qui descend l’écho me répond seul.

Rien de ce qui bourdonne et rien de ce qui chante
Ou hurle, ne répond : ni le loup ni l’oiseau ;
Rien de ce qui gémit, pas même le roseau,
Ne répond en ces lieux que le mystère hante.

Ô Baie Éternité, j’aime tes sombres flots !
Ton insondable lit s’enfonce entre des rives
Dont les rochers dressés en cimes convulsives,
Gardent tragiquement l’empreinte du chaos.

Désormais, l’art m’attache au bord du fleuve abîme ;
Je le voudrais chanter dans mes vers, mais en vain
Je tente d’exprimer ce qu’il a de divin
Et d’infernalement effrayant et sublime.

Les accents que mon âme évoque avec effroi,
Expirent sur ma lèvre en proie à l’épouvante…
Ton esprit n’est pas loin de ce spectacle, ô Dante !
Ô Dante Alighieri ! ! mon maître, inspire-moi !

Poète des mots brefs et des grandes pensées,
Toi qui sais pénétrer les humaines douleurs
Et dans le Paradis cueillir les saintes fleurs,
Qu’au souffle de tes chants mes strophes soient bercées !

Apprends-moi comme il faut monter, le front serein,
Vers les sommets sacrés qui conduisent aux astres,
Et, le cœur abîmé dans la nuit des désastres,
Faire sur le granit sonner le vers d’airain !
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Mais déjà l’aube terne aux teintes indécises
Révélait des détails au flanc du grand rocher ;
Je voyais peu à peu les formes s’ébaucher,
Et les contours saillir en lignes plus précises.
Bientôt le coloris de l’espace éthéré
Passa du gris à l’ambre et de l’ambre au bleu pâle ;
Les flots prirent les tons chatoyants de l’opale ;
L’Orient s’allumait à son foyer sacré.
Le gris matutinal en bas régnait encore,
Quand l’éblouissement glorieux de l’aurore
Embrasa le sommet du Cap Éternité
Qui tendait au salut du jour sa majesté.
Pendant que l’Infini se fleurissait de roses,
Les fulgurants rayons pour le sommet ont lui…
Et j’ai pensé, scrutant le sens profond des choses :
― « Le ciel aime les fronts qui s’approchent de lui ;
Pour les mieux embellir sa splendeur les embrase,
Chair ou granit, d’un feu triomphal et pareil :
Il donne aux uns l’éclat d’un astre à son réveil,
Aux autres la lumière auguste de l’extase ! »

Le Cap Eternité
Charles Gill



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