XI
En descendant de son tilbury dans la cour du Lagny, Raymon sentit le cœur lui manquer. Il allait donc rencontrer sous ce toit qui lui rappelait de si terribles souvenirs ! Ses raisonnements, d’accord avec ses passions, pouvaient lui faire surmonter les mouvements de son cœur, mais non les étouffer, et dans cet instant la sensation du remords était aussi vive que celle du désir.
La première figure qui vint à sa rencontre fut celle de sir Ralph Brown, et il crut, en l’apercevant dans son éternel habit de chasse, flanqué de ses chiens, et grave comme un laird écossais, voir marcher le portrait qu’il avait découvert dans la chambre de madame Delmare. Peu d’instants après vint le colonel, et l’on servit le déjeuner sans qu’Indiana eût paru. Raymon, en traversant le vestibule, en passant devant la salle du billard, en reconnaissant ces lieux qu’il avait aperçus dans des circonstances si différentes, se sentait si mal, qu’il se rappelait à peine dans quels desseins il y venait maintenant.
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XII
Il était depuis deux heures dans le salon lorsqu’il entendit, dans la pièce voisine, la voix douce et un peu voilée de madame Delmare. A force de réfléchir à son projet de séduction, il s’était passionné comme un auteur pour son sujet, comme un avocat pour sa cause, et l’on pourrait comparer l’émotion qu’il éprouva en voyant Indiana, à celle d’un acteur bien pénétré de son rôle, qui se trouve en présence du principal personnage du drame et ne distingue plus les impressions factices de la scène d’avec la réalité.
Elle était si changée, qu’un sentiment d’intérêt sincère se glissa pourtant chez Raymon parmi les agitations nerveuses de son cerveau. Le chagrin et la maladie avaient imprimé des traces si profondes sur son visage qu’elle n’était presque plus jolie, et qu’il y avait maintenant plus de gloire que de plaisir à entreprendre sa conquête… Mais Raymon se devait à lui-même de rendre à cette femme le bonheur et la vie.
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La Vieille
Germain se retrouva bientôt à l’endroit où il avait passé la nuit au bord de la mare. Le feu fumait encore; une vieille femme ramassait le reste de la provision de bois mort que la petite Marie y avait entassée. Germain s’arrêta pour la questionner. Elle était sourde et, se méprenant sur ses interrogations:
— Oui, mon garçon, dit-elle, c’est ici la Mare au Diable. C’est un mauvais endroit et il ne faut pas en approcher sans jeter trois pierres dedans de la main gauche, en faisant le signe de la croix de la main droite: ça éloigne les esprits. Autrement il arrive des malheurs à ceux qui en font le tour.
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XIII
Lorsque sir Ralph revint de la chasse et qu’il consulta comme à l’ordinaire le pouls de madame Delmare en l’abordant, Raymon, qui l’observait attentivement, remarqua une nuance imperceptible de surprise de et de plaisir sur ses traits paisibles. Et puis, par je ne sais quelle pensée secrète, le regard de ces deux hommes se rencontra, et les yeux clairs de sir Ralph, attachés comme ceux d’une chouette sur les yeux noirs de Raymon, les firent baisser involontairement. Pendant le reste du jour la contenance du baronnet auprès de madame Delmare eut, au travers de son apparente imperturbabilité quelque chose d’attentif, quelque chose d’attentif, quelque chose qu’on aurait pu appeler de l’intérêt ou de la sollicitude, si sa physionomie eût été capable de refléter un sentiment déterminé. Mais Raymon s’efforça vainement de chercher s’il y avait de la crainte ou de l’espoir dans ses pensées; Ralph fut impénétrable.
Tout à coup, comme il se tenait à quelques pas derrière le fauteuil de madame Delmare, il entendit Ralph lui dire à demi-voix:
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Le Retour A La Ferme
Au bout d’un quart d’heure ils avaient franchi les brandes. Ils trottaient sur la grand-route, et la Grise hennissait à chaque objet de sa connaissance. Petit-Pierre racontait à son père ce qu’il avait pu comprendre dans ce qui s’était passé.
— Quand nous sommes arrivés, dit-il, cet homme-là est venu pour parler à ma Marie dans la bergerie où nous avions été tout de suite, pour voir les beaux moutons. Moi, j’étais monté dans la crèche pour jouer et cet homme-là ne me voyait pas. Alors il a dit bonjour à ma Marie et il l’a embrassée.
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La Mère Maurice
Un jour, la mère Maurice se trouvant seule dans le verger avec Germain, lui dit d’un air d’amitié: ” Mon pauvre gendre, je crois que vous n’êtes pas bien. Vous ne mangez pas aussi bien qu’à l’ordinaire, vous ne riez plus, vous causez de moins en moins. Est-ce que quelqu’un de chez nous, ou nous-mêmes, sans le savoir et sans le vouloir, vous avons fait de la peine ?
— Non, ma mère, répondit Germain, vous avez toujours été aussi bonne pour moi que la mère qui m’a mis au monde, et je serais un ingrat si je me plaignais de vous, ou de votre mari, ou de personne de la maison.
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XIV
Lorsque les limiers furent lancés, Raymon s’étonna de ce qui semblait se passer dans l’âme d’Indiana. Ses yeux et ses joues s’animèrent; le gonflement de ses narines trahit je ne sais quel sentiment de terreur ou de plaisir, et tout à coup, quittant son côté et pressant avec ardeur les flancs de son cheval, elle s’élança sur les traces de Ralph. Raymon ignorait que la chasse était la seule passion que Ralph et Indiana eussent en commun. Il ne se doutait pas non plus que, dans cette femme si frêle et en apparence si timide, résidât un courage plus que masculin, cette sorte d’intrépidité délirante qui se manifeste parfois comme une crise nerveuse chez les êtres les plus faibles. Les femmes ont rarement le courage physique qui consiste à lutter d’inertie contre la douleur ou le danger; mais elles ont souvent le courage moral qui s’exalte avec le péril ou la souffrance. Les fibres délicates d’Indiana appelaient surtout les bruits, le mouvement rapide et l’émotion de la chasse, cette image abrégée de la guerre avec ses fatigues, ses ruses, ses calculs, ses combats et ses chances. Sa vie morne et rongée d’ennuis avait besoin de ces excitations; alors elle semblait se réveiller d’une léthargie et dépenser en un jour toute l’énergie inutile qu’elle avait, depuis un an, laissée fermenter dans son sang.
Raymon fut effrayé de la voir courir ainsi, se livrant sans peur à la fougue de ce cheval qu’elle connaissait à peine, le lancer hardiment dans le taillis, éviter avec une adresse étonnante les branches dont la vigueur élastique fouettait son visage, franchir les fossés sans hésitation, se hasarder avec confiance dans les terrains glaiseux et mouvants, ne s’inquiétant pas de briser ses membres fluets, mais jalouse d’arriver la première sur la piste fumante du sanglier. Tant de résolution l’effraya et faillit le dégoûter de madame Delmare. Les hommes, et les amants surtout, ont la fatuité innocente de vouloir protéger la faiblesse plutôt que d’admirer le courage chez les femmes. L ‘avouerai-je ? Raymon se sentit épouvanté de tout ce qu’un esprit si intrépide promettait de hardiesse et de ténacité en amour. Ce n’était pas dans le cœur résigné de la pauvre Noun, qui aimait mieux se noyer que de lutter contre son malheur.
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La Petite Marie
Enfin, le dimanche matin, au sortir de la messe, sa belle-mère lui demanda ce qu’il avait obtenu de sa bonne amie depuis la conversation dans le verger.
— Mais, rien du tout, répondit-il. Je ne lui ai pas parlé.
— Comment donc voulez-vous la persuader si vous ne lui parlez pas ?
— Je ne lui ai parlé qu’une fois, répondit Germain. C’est quand nous avons été ensemble à Fourche; et, depuis ce temps-là, je ne lui ai pas dit un seul mot. Son refus m’a fait tant de peine que j’aime mieux ne pas l’entendre recommencer à me dire qu’elle ne m’aime pas. Lire la suite...
XV
Malgré ces dissensions continuelles, madame Delmare se livrait à l’espoir d’un riant avenir avec la confiance de son âge. C’était son premier bonheur; et son ardente imagination, son cœur jeune et riche savaient le parer de tout ce qui lui manquait. Elle était ingénieuse à se créer des jouissances vives et pures, à se restituer le complément des faveurs précaires de sa destinée. Raymon l’aimait. En effet, il ne mentait pas lorsqu’il lui disait qu’elle était le seul amour de sa vie; il n’avait jamais aimé si purement ni si longtemps. Près d’elle, il oubliait tout ce qui n’était pas elle; le monde et la politique s’effaçaient de son souvenir; il se plaisait à cette vie intérieure, à ces habitudes de famille qu’elle lui créait. Il admirait la patience et la force de cette femme; il s’étonnait du contraste de son esprit avec son caractère; il s’étonnait surtout qu’après tant de solennité dans leur premier pacte, elle se montrât si peu exigeante, heureuse de si furtifs et de si rares bonheurs, confiante avec tant d’abandon et d’aveuglement. C’est que l’amour était dans son cœur une passion neuve et généreuse; c’est que mille sentiments délicats et nobles s’y rattachaient et lui donnaient une force que ne pouvait pas comprendre.
Pour lui, il souffrit d’abord de l’éternelle présence du mari ou du cousin. Il avait songé à traiter cet amour comme tous ceux qu’il connaissait; mais bientôt Indiana le força à s’élever jusqu’à elle. Sa résignation à supporter la surveillance, l’air de bonheur avec lequel elle le contemplait à la dérobée, ses yeux qui avaient pour lui un éloquent et muet langage, son sublime sourire lorsque, dans la conversation, une allusion rapprochait leurs cœurs: ce furent bientôt là des plaisirs fins et recherchés que Raymon comprit, grâce à la délicatesse de son esprit et à la culture de l’éducation.
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Les noces de campagne
Ici finit l’histoire du mariage de Germain, telle qu’il me l’a racontée lui-même, le fin laboureur qu’il est ! Je te demande pardon, lecteur ami, de n’avoir pas su te la traduire mieux; car c’est une véritable traduction qu’il faut au langage antique et naïf des paysans de la contrée que je chante (comme on disait jadis). Ces gens-là parlent trop français pour nous, et, depuis Rabelais et Montaigne, les progrès de la langue nous ont fait perdre bien des vieilles richesses. Il en est ainsi de tous les progrès, il faut en prendre son parti. Mais c’est encore un plaisir d’entendre ces idiotismes pittoresques régner Lire la suite...