Romans George Sand

Valentine

XXX

Quinze mois s’écoulèrent ainsi: quinze mois de calme et de bonheur dans la vie de cinq individus, c’est presque fabuleux. Il en fut ainsi pourtant. Le seul chagrin qu’éprouva Bénédict, ce fut de voir quelquefois Valentine pâle et rêveuse. Alors il se hâtait d’en chercher la cause, et il découvrait toujours qu’elle avait rapport à quelque alarme de son âme pieuse et timorée. Il parvenait à chasser ces légers nuages, car Valentine n’avait plus le droit de douter de sa force et de sa soumission. Les lettres de M. de Lansac achevaient de la rassurer, elle avait pris le parti de Lire la suite...

Indiana

I

Par une soirée d’automne pluvieuse et fraîche, trois personnes rêveuses étaient gravement occupées, au fond d’un petit castel de la Brie, à regarder brûler les tisons du foyer et cheminer lentement l’aiguille de la pendule. Deux de ces hôtes silencieux semblaient s’abandonner en toute soumission au vague ennui qui pesait sur eux; mais le troisième donnait des marques de rébellion ouverte: il s’agitait sur son siège, étouffait à demi haut quelques bâillements mélancoliques, et frappait la pincette sur les bûches pétillantes, avec l’intention marquée de lutter contre l’ennemi commun.

Ce personnage, beaucoup plus âgé que les deux autres, était le maître de la maison, le colonel Delmare, vieille bravoure en demi-solde, homme jadis beau, maintenant épais, au front chauve, à la moustache grise, à l’oeil terrible; excellent maître devant qui tout tremblait, femme, serviteurs, chevaux et chiens.
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XXXI

M. de Lansac en costume de voyage et affectant une grande fatigue, s’était drapé nonchalamment sur le canapé du grand salon. Il vint au-devant de Valentine d’un air galant et empressé dès qu’il l’aperçut. Valentine tremblait et se sentait près de s’évanouir. Sa pâleur, sa consternation, n’échappèrent point au comte; il feignit de ne pas s’en apercevoir, et lui fit compliment au contraire sur l’éclat de ses yeux et la fraîcheur de son teint. Puis il se mit aussitôt à causer avec cette aisance que donne l’habitude de la dissimulation; et le ton dont il parla de son voyage, Lire la suite...

La mare au diable

Germain Le Fin Laboureur

Oui, j’ai quelqu’un en vue, répondit le père Maurice. C’est une Léonard, veuve d’un Guérin, qui demeure à Fourche.

— Je ne connais ni la femme ni l’endroit, répondit Germain résigné, mais de plus en plus triste.

— Elle s’appelle Catherine, comme ta défunte.

— Catherine ? Oui, ça me fera plaisir d’avoir à dire ce nom-là; Catherine ! Et pourtant, si je ne peux pas l’aimer autant que l’autre, ça me fera encore plus de peine, ça me la rappellera plus souvent. Lire la suite...

II

Les deux personnages que nous venons de nommer, Indiana Delmare et sir Ralph, ou, si vous l’aimez mieux, M. Rodolphe Brown, restèrent vis-à-vis l’un de l’autre, aussi calmes, aussi froids que si le mari eût été entre eux deux. L’Anglais ne songeait nullement à se justifier, et madame Delmare sentait qu’elle n’avait pas de reproches sérieux à lui faire; car il n’avait parlé qu’à bonne intention. Enfin, rompant le silence avec effort, elle le gronda doucement.

— Ce n’est pas bien, mon cher Ralph, lui dit-elle; je vous avais défendu de répéter ces paroles échappées dans un moment de souffrance, et M. Delmare est le dernier que j’aurai voulu instruire de mon mal.
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La Guillette

Le père Maurice trouva chez lui une vieille voisine qui était venue causer avec sa femme tout en cherchant de la braise pour allumer son feu. La mère Guillette habitait une chaumière fort pauvre à deux portées de fusil de la ferme. Mais c’était une femme d’ordre et de volonté. Sa pauvre maison était propre et bien tenue, et ses vêtements rapiécés avec soin annonçaient le respect de soi-même au milieu de la détresse.

— Vous êtes venue chercher le feu du soir, mère Guillette, lui dit le vieillard. Voulez-vous quelque autre chose ?
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III

— Rassurez-vous, monsieur, lui dit Indiana; l’homme que vous avez tué se portera bien dans quelques jours; du moins nous l’espérons, quoique la parole ne lui soit pas encore revenue…

— Il ne s’agit pas de cela, madame, dit le colonel d’une voix concentrée; il s’agit de me dire le nom de cet intéressant malade, et par quelle distraction il a pris le mur de mon parc pour l’avenue de ma maison.

— Je l’ignore absolument, répondit madame Delmare avec une froideur si pleine de fierté, que son terrible époux en fut comme étourdi un instant.

Mais, revenant bien vite à ses soupçons jaloux:

— Je le saurai, madame, lui dit-il à demi-voix; soyez bien sûre que je le saurai… Lire la suite...

XXXII

M. de Lansac se trouvait dans une des plus diplomatiques situations qui puissent se présenter dans la vie d’un homme du monde. Il y a plusieurs sortes d’honneur en France: l’honneur d’un paysan n’est pas l’honneur d’un gentilhomme, celui d’un gentilhomme n’est pas celui d’un bourgeois. Il y en a pour tous les rangs et peut-être aussi pour tous les individus. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. de Lansac en avait à sa manière. Philosophe sous certains rapports, il avait encore des préjugés sous bien d’autres. Dans ces temps de lumières, de perceptions hardies et de rénovation Lire la suite...

Petit-Pierre

La Grise était jeune, belle et vigoureuse. Elle portait sans effort son double fardeau, couchant les oreilles et rongeant son frein, comme une fière et ardente jument qu’elle était. En passant devant le pré-long, elle aperçut sa mère, qui s’appelait la vieille Grise, comme elle la jeune Grise, et elle hennit en signe d’adieu. La vieille Grise s’approcha de la haie en faisant résonner ses enferges, essaya de galoper sur la marge du pré pour suivre sa fille; puis, la voyant prendre le grand trot, elle hennit à son tour et resta pensive, inquiète, le nez au vent, la bouche pleine d’herbes qu’elle ne songeait plus à manger. Lire la suite...

IV

Il vous est difficile peut-être de croire que M. Raymon de Ramière, jeune homme brillant d’esprit, de talents et de grandes qualités, accoutumé aux succès de salon et aux aventures parfumées, eût conçu pour la femme de charge d’une petite maison industrielle de la Brie un attachement bien durable. M. de Ramière n’était pourtant ni un fat ni un libertin. Nous avons dit qu’il avait de l’esprit, c’est-à-dire qu’il appréciait à leur juste valeur les avantages de la naissance. C’était un homme à principes quand il raisonnait avec lui-même; mais de fougueuses passions l’entraînaient souvent hors de ses systèmes. Alors il n’était plus capable de réfléchir, ou bien il évitait de se traduire au tribunal de sa conscience: il commettait des fautes comme à l’insu de lui-même, et l’homme de la veille s’efforçait de tromper celui du lendemain. Malheureusement, ce qu’il y avait de plus saillant en lui, ce n’étaient pas ses principes, qu’il avait en commun avec beaucoup d’autres philosophes en gants blancs, et qui ne le préservaient pas plus qu’eux de l’inconséquence; c’étaient ses passions, que les principes ne pouvaient pas étouffer, et qui faisaient de lui un homme à part dans cette société ternie où il est si difficile de trancher sans être ridicule. Raymon avait l’art d’être souvent coupable sans se faire haïr, souvent bizarre sans être choquant; parfois même il réussissait à se faire plaindre par les gens qui avaient le plus à se plaindre de lui. Il y a des hommes ainsi gâtés par tout ce qui les approche. Une figure heureuse et une élocution vive font quelquefois tous les frais de leur sensibilité. Nous ne prétendons pas juger si rigoureusement M. Raymon de Ramière, ni tracer son portrait avant de l’avoir fait agir. Nous l’examinons maintenant de loin, et comme la foule qui le voit passer.

M. de Ramière était amoureux de la jeune créole aux grands yeux noirs qui avait frappé d’admiration toute la province à la fête de Rubelles; mais amoureux et rien de plus. Il l’avait abordée par désœuvrement peut-être, et le succès avait allumé ses désirs; il avait obtenu plus qu’il n’avait demandé, et, le jour où il triompha de ce cœur facile, il rentra chez lui, effrayé de sa victoire, et, se frappant le front, il se dit:
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