Notice
Le Château des Désertes est une analyse de quelques idées d’art plutôt qu’une analyse de sentiments. Ce roman m’a servi, une fois de plus, à me confirmer dans la certitude que les choses réelles, transportées dans le domaine de la fiction, n’y apparaissent un instant que pour y disparaître aussitôt, tant leur transformation y devient nécessaire.
Durant plusieurs hivers consécutifs, étant retirée à la campagne avec mes enfants et quelques amis de leur âge, nous avions imaginé de jouer la comédie sur scénario et sans spectateurs, Lire la suite...
La jeune mère
Avant d’arriver à l’époque de ma vie qui fait le sujet de ce récit, je dois dire en trois mots qui je suis.
Je suis le fils d’un pauvre ténor italien et d’une belle dame française. Mon père se nommait Tealdo Soavi; je ne nommerai point ma mère. Je ne fus jamais avoué par elle, ce qui ne l’empêcha point d’être bonne et généreuse pour moi. Je dirai seulement que je fus élevé dans la maison de la marquise de…, à Turin et à Paris, sous un nom de fantaisie. Lire la suite...
Le ver luisant
Il y avait alors au théâtre impérial une chanteuse qui eût fait quelque impression sur moi, si la duchesse de… ne se fût emparée plus victorieusement de mes pensées. Cette chanteuse n’était ni de la première beauté, ni de la première jeunesse, ni du premier ordre de talent. Elle se nommait Cécilia Boccaferri; elle avait une trentaine d’années, les traits un peu fatigués, une jolie taille, de la distinction, une voix plutôt douce et sympathique que puissante; elle remplissait sans fracas d’engouement, comme sans contestation de la part du public, l’emploi de seconda donna. Lire la suite...
Cécilia
Mais il était écrit au livre de ma destinée que je retrouverais Célio sur mon chemin. J’approche de la loge de Cécilia, je frappe, on vient m’ouvrir: au lieu du visage doux et mélancolique de la cantatrice, c’est la figure enflammée du débutant qui m’accueille d’un regard méfiant et de cette parole insolente:— Que voulez-vous, Monsieur ?
— Je croyais frapper chez la signora Boccaferri, répondis-je; elle a donc changé de loge ? Lire la suite...
Flânerie
Elle s’était levée pour partir; elle ramena son châle sur ses épaules. Elle était mal mise, affreusement mise, comme une actrice pauvre et fatiguée, qui s’est débarrassée à la hâte de son costume et qui s’enveloppe avec joie d’une robe de chambre chaude et ample pour s’en aller à pied par les rues. Elle avait un voile noir très-fané sur la tête et de gros souliers aux pieds, parce que le temps était à la pluie. Elle cachait ses jolies mains (je me rappelle ce détail exactement) dans de vilains gants tricotés. Lire la suite...
Dépit
J’étais fatigué, et pourtant je ne pus dormir. Je comptai les heures sans réussir à résumer les émotions de ma soirée et à conclure avec moi-même. Il n’y avait qu’une chose certaine pour moi, c’est que je n’aimais plus la duchesse, et que j’avais failli faire une lourde école en m’attachant à elle; mais une âme blessée cherche vite une autre blessure pour effacer celle qui mortifie l’amour-propre, et j’éprouvais un besoin d’aimer qui me donnait la fièvre. Pour la première fois, je n’étais plus le maître absolu de Lire la suite...
La duchesse
A l’heure convenue, j’attendais Célio, mais je ne reçus qu’un billet ainsi conçu:
“Mon cher ami, je vous envoie de l’argent et des papiers pour que vous ayez à terminer demain l’affaire de mademoiselle Boccaferri avec le théâtre. Rien n’est plus simple: il s’agit de verser la somme ci-jointe et de prendre un reçu que vous conserverez. Son engagement était à la veille d’expirer, et elle n’est passible que d’une amende ordinaire pour deux représentations auxquelles elle fait défaut. Elle trouve ailleurs un engagement plus avantageux. Lire la suite...
Le nœud cerise
Je ne crois, d’une manière absolue, ni à la destiné, ni à mes instincts, et je suis pourtant forcé de croire à quelque chose qui semble une combinaison de l’un ou de l’autre, à une force mystérieuse qui est comme l’attraction de la fatalité.
Il se fait dans notre existence, comme de grande courants magnétiques que nous traversons quelquefois, sans être emportés par eux, mais où quelquefois aussi nous nous précipitons de nous-mêmes, parce que notre moi se trouve admirablement prédisposé à subir Lire la suite...
Le sabbat
— Et les deux jeunes demoiselles, dis-je à ma vieille hôtesse, vous les connaissez ?
— Non, Monsieur. Je n’ai fait encore que les apercevoir. Il n’y a qu’une quinzaine qu’elles sont ici, et le dernier jeune homme, qui paraît avoir quinze ans tout au plus, est arrivé avant-hier au soir. Ce qui fait dire dans le village que ce n’est peut-être pas le dernier, et qu’on ne sait pas où s’arrêtera la famille de M. le marquis. Chacun dit son mot là-dessus: il faut bien rire un peu, pour se consoler de ne rien savoir. Lire la suite...
L’uom di sasso
J’étais trop mécontent du résultat de mon entreprise pour me sentir disposé à faire de nouvelles questions sur le château mystérieux. Je renfermais ma curiosité comme une honte, le succès ne l’avait pas justifiée; mais elle n’en subsistait pas moins au fond de mon imagination, et je faisais de nouveaux projets pour la nuit suivante. En attendant, je résolus d’aller pousser une reconnaissance autour du château, pour me ménager les moyens de pénétrer nuitamment dans l’intérieur de la place, s’il était possible… Bah ! me disais-je, tout est possible à celui qui veut. Lire la suite...