Romans Alexandre Dumas Père

Les Trois Mousquetaires

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D’Artagnan était resté étourdi de la terrible confidence d’Athos; cependant bien des choses lui paraissaient encore obscures dans cette demi-révélation; d’abord elle avait été faite par un homme tout à fait ivre à un homme qui l’était à moitié, et cependant, malgré ce vague que fait monter au cerveau la fumée de deux ou trois bouteilles de bourgogne, d’Artagnan, en se réveillant le lendemain matin, avait chaque parole d’Athos aussi présente à son esprit que si, à mesure qu’elles étaient tombées de sa bouche, elles s’étaient imprimées dans son esprit. Tout ce doute ne lui donna qu’un plus vif désir d’arriver à une certitude, et il passa chez son ami avec l’intention bien arrêtée de renouer sa conversation de la veille mais il trouva Athos de sens tout à fait rassis, c’est-à-dire le plus fin et le plus impénétrable des hommes.

Au reste, le mousquetaire, après avoir échangé avec lui une poignée de main, alla le premier au-devant de sa pensée.

— J’étais bien ivre hier, mon cher d’Artagnan, dit-il, j’ai senti cela ce matin à ma langue, qui était encore fort épaisse, et à mon pouls qui était encore fort agité; je parie que j’ai dit mille extravagances.
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La chasse à l’équipement

Le plus préoccupé des quatre amis était bien certainement d’Artagnan, quoique d’Artagnan, en sa qualité de garde, fût bien plus facile à équiper que messieurs les mousquetaires, qui étaient des seigneurs; mais notre cadet de Gascogne était, comme on a pu le voir, d’un caractère prévoyant et presque avare, et avec cela (expliquez les contraires) glorieux presque à rendre des points à Porthos. À cette préoccupation de sa vanité, d’Artagnan joignait en ce moment une inquiétude moins égoïste. Quelques informations qu’il eût pu prendre sur madame Bonacieux, il ne lui en était venu aucune nouvelle. M. de Tréville en avait parlé à la reine; la reine ignorait où était la jeune mercière et avait promis de la faire chercher. Mais cette promesse était bien vague et ne rassurait guère d’Artagnan.

Athos ne sortait pas de sa chambre; il était résolu à ne pas risquer une enjambée pour s’équiper.

— Il nous reste quinze jours, disait-il à ses amis; eh bien, si au bout de ces quinze jours je n’ai rien trouvé, ou plutôt si rien n’est venu me trouver, comme je suis trop bon catholique pour me casser la tête d’un coup de pistolet, je chercherai une bonne querelle à quatre gardes de Son Éminence ou à huit Anglais, et je me battrai jusqu’à ce qu’il y en ait un qui me tue, ce qui, sur la quantité, ne peut manquer de m’arriver. On dira alors que je suis mort pour le roi, de sorte que j’aurai fait mon service sans avoir eu besoin de m’équiper.
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Milady

D’Artagnan avait suivi milady sans être aperçu par elle: il la vit monter dans son carrosse, et il l’entendit donner à son cocher l’ordre d’aller à Saint-Germain.

Il était inutile d’essayer de suivre à pied une voiture emportée au trot de deux vigoureux chevaux. D’Artagnan revint donc rue Férou.

Dans la rue de Seine, il rencontra Planchet, qui était arrêté devant la boutique d’un pâtissier, et qui semblait en extase devant une brioche de la forme la plus appétissante.
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Anglais et Français

L’heure venue, on se rendit avec les quatre laquais, derrière le Luxembourg, dans un enclos abandonné aux chèvres. Athos donna une pièce de monnaie au chevrier pour qu’il s’écartât. Les laquais furent chargés de faire sentinelle.

Bientôt une troupe silencieuse s’approcha du même enclos, y pénétra et joignit les mousquetaires; puis, selon les habitudes d’outre-mer, les présentations eurent lieu.

Les Anglais étaient tous gens de la plus haute qualité, les noms bizarres de leurs adversaires furent donc pour eux un sujet non seulement de surprise, mais encore d’inquiétude.
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Un dîner de procureur

Cependant le duel dans lequel Porthos avait joué un rôle si brillant ne lui avait pas fait oublier le dîner auquel l’avait invité la femme du procureur. Le lendemain, vers une heure, il se fit donner le dernier coup de brosse par Mousqueton, et s’achemina vers la rue aux Ours, du pas d’un homme qui est en double bonne fortune.

Son cœur battait, mais ce n’était pas, comme celui de d’Artagnan, d’un jeune et impatient amour. Non, un intérêt plus matériel lui fouettait le sang, il allait enfin franchir ce seuil mystérieux, gravir cet escalier inconnu qu’avaient monté, un à un, les vieux écus de maître Coquenard.

Il allait voir en réalité certain bahut dont vingt fois il avait vu l’image dans ses rêves; bahut de forme longue et profonde, cadenassé, verrouillé, scellé au sol; bahut dont il avait si souvent entendu parler, et que les mains un peu sèches, il est vrai, mais non pas sans élégance de la procureuse, allaient ouvrir à ses regards admirateurs.
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Soubrette et maîtresse

Cependant, comme nous l’avons dit, malgré les cris de sa conscience et les sages conseils d’Athos, d’Artagnan devenait d’heure en heure plus amoureux de milady; aussi ne manquait-il pas tous les jours d’aller lui faire une cour à laquelle l’aventureux Gascon était convaincu qu’elle ne pouvait, tôt ou tard, manquer de répondre.

Un soir qu’il arrivait le nez au vent, léger comme un homme qui attend une pluie d’or, il rencontra la soubrette sous la porte cochère; mais cette fois la jolie Ketty ne se contenta point de lui sourire en passant, elle lui prit doucement la main.

— Bon ! fit d’Artagnan, elle est chargée de quelque message pour moi de la part de sa maîtresse; elle va m’assigner quelque rendez-vous qu’on n’aura pas osé me donner de vive voix.
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Où il est traité de l’équipement d’Aramis et de Porthos

Depuis que les quatre amis étaient chacun à la chasse de son équipement, il n’y avait plus entre eux de réunion arrêtée. On dînait les uns sans les autres, où l’on se trouvait, ou plutôt où l’on pouvait. Le service, de son côté, prenait aussi sa part de ce temps précieux, qui s’écoulait si vite. Seulement on était convenu de se trouver une fois la semaine, vers une heure, au logis d’Athos, attendu que ce dernier, selon le serment qu’il avait fait, ne passait plus le seuil de sa porte.

C’était le jour même où Ketty était venue trouver d’Artagnan chez lui, jour de réunion.

À peine Ketty fut-elle sortie, que d’Artagnan se dirigea vers la rue Férou.
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La nuit tous les chats sont gris

Ce soir, attendu si impatiemment par Porthos et par d’Artagnan, arriva enfin.

D’Artagnan, comme d’habitude, se présenta vers les neuf heures chez milady. Il la trouva d’une humeur charmante; jamais elle ne l’avait si bien reçu. Notre Gascon vit du premier coup d’œil que son billet avait été remis, et ce billet faisait son effet.

Ketty entra pour apporter des sorbets. Sa maîtresse lui fit une mine charmante, lui sourit de son plus gracieux sourire; mais, hélas ! la pauvre fille était si triste, qu’elle ne s’aperçut même pas de la bienveillance de milady.
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Rêve de vengeance

Le soir milady donna l’ordre d’introduire M. d’Artagnan aussitôt qu’il viendrait, selon son habitude. Mais il ne vint pas.

Le lendemain, Ketty vint voir de nouveau le jeune homme et lui raconta tout ce qui s’était passé la veille: d’Artagnan sourit; cette jalouse colère de milady, c’était sa vengeance.

Le soir milady fut plus impatiente encore que la veille, elle renouvela l’ordre relatif au Gascon; mais comme la veille elle l’attendit inutilement.
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Le secret de Milady

D’Artagnan était sorti de l’hôtel au lieu de monter tout de suite chez Ketty, malgré les instances que lui avait faites la jeune fille, et cela pour deux raisons: la première, parce que de cette façon il évitait les reproches, les récriminations, les prières; la seconde, parce qu’il n’était pas fâché de lire un peu dans sa pensée, et, s’il était possible, dans celle de cette femme.

Tout ce qu’il y avait de plus clair là-dedans, c’est que d’Artagnan aimait milady comme un fou et qu’elle ne l’aimait pas le moins du monde. Un instant d’Artagnan comprit que ce qu’il aurait de mieux à faire serait de rentrer chez lui et d’écrire à milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et de Wardes étaient jusqu’à présent absolument le même, que par conséquent il ne pouvait s’engager, sous peine de suicide, à tuer de Wardes. Mais lui aussi était éperonné d’un féroce désir de vengeance; il voulait posséder à son tour cette femme sous son propre nom; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une certaine douceur, il ne voulait point y renoncer.

Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant de dix pas en dix pas pour regarder la lumière de l’appartement de milady, qu’on apercevait à travers les jalousies; il était évident que cette fois la jeune femme était moins pressée que la première de rentrer dans sa chambre.
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