Le Comte de Monte-Cristo Volume 1
Sur le lit, couché dans le sens de la longueur, et faiblement éclairé par un jour brumeux qui pénétrait à travers la fenêtre, on voyait un sac de toile grossière, sous les larges plis duquel se dessinait confusément une forme longue et raide: c’était le dernier linceul de Faria, ce linceul qui, au dire des guichetiers, coûtait si peu cher. Ainsi, tout était fini. Une séparation matérielle existait déjà entre Dantès et son vieil ami; il ne pouvait plus voir ces yeux qui étaient restés ouverts comme pour regarder au delà de la mort, il ne pouvait plus serrer cette main industrieuse qui avait soulevé pour lui le voile qui couvrait les choses cachées. Faria, l’utile, le bon compagnon auquel il s’était habitué avec tant de force, n’existait plus que dans son souvenir. Alors il s’assit au chevet de ce lit terrible, et se plongea dans une sombre et amère mélancolie.
Seul ! il était redevenu seul ! il était retombé dans le silence, il se retrouvait en face du néant !
Dantès étourdi, presque suffoqué, eut cependant la présence d’esprit de retenir son haleine, et, comme sa main droite, ainsi que nous l’avons dit, préparé qu’il était à toutes les chances, tenait son couteau tout ouvert, il éventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la tête; mais alors, malgré ses mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entraîné; alors il se cambra, cherchant la corde qui liait ses jambes, et, par un effort suprême, il la trancha précisément au moment où il suffoquait; alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta libre à la surface de la mer, tandis que le boulet entraînait dans ses profondeurs inconnues le tissu grossier qui avait failli devenir son linceul.
Dantès ne prit que le temps de respirer, et replongea une seconde fois; car la première précaution qu’il devait prendre était d’éviter les regards.
Voyage
À deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris par la barrière Saint-Denis; tant qu’il fit nuit, ils restèrent muets; malgré eux, ils subissaient l’influence de l’obscurité et voyaient des embûches partout.
Aux premiers rayons du jour, leurs langues se délièrent; avec le soleil, la gaieté revint: c’était comme à la veille d’un combat, le cœur battait, les yeux riaient; on sentait que la vie qu’on allait peut-être quitter était, au bout du compte, une bonne chose.
L’aspect de la caravane, au reste, était des plus formidables: les chevaux noirs des mousquetaires, leur tournure martiale, cette habitude de l’escadron qui fait marcher régulièrement ces nobles compagnons du soldat, eussent trahi le plus strict incognito.
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La comtesse de Winter
Tout le long de la route, le duc se fit mettre au courant par d’Artagnan non pas de tout ce qui s’était passé, mais de ce que d’Artagnan savait. En rapprochant ce qu’il avait entendu sortir de la bouche du jeune homme de ses souvenirs à lui, il put donc se faire une idée assez exacte d’une position de la gravité de laquelle, au reste, la lettre de la reine, si courte et si peu explicite qu’elle fût, lui donnait la mesure. Mais ce qui l’étonnait surtout, c’est que le cardinal, intéressé comme il l’était à ce que le jeune homme ne mît pas le pied en Angleterre, ne fût point parvenu à l’arrêter en route. Ce fut alors, et sur la manifestation de cet étonnement, que d’Artagnan lui raconta les précautions prises, et comment, grâce au dévouement de ses trois amis qu’il avait éparpillés tout sanglants sur la route, il était arrivé à en être quitte pour le coup d’épée qui avait traversé le billet de la reine, et qu’il avait rendu à M. de Wardes en si terrible monnaie. Tout en écoutant ce récit, fait avec la plus grande simplicité, le duc regardait de temps en temps le jeune homme d’un air étonné, comme s’il n’eût pas pu comprendre que tant de prudence, de courage et de dévouement s’alliât avec un visage qui n’indiquait pas encore vingt ans.
Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils furent aux portes de Londres. D’Artagnan avait cru qu’en arrivant dans la ville le duc allait ralentir l’allure du sien, mais il n’en fut pas ainsi: il continua sa route à fond de train, s’inquiétant peu de renverser ceux qui étaient sur son chemin. En effet, en traversant la cité deux ou trois accidents de ce genre arrivèrent; mais Buckingham ne détourna pas même la tête pour regarder ce qu’étaient devenus ceux qu’il avait culbutés. D’Artagnan le suivait au milieu de cris qui ressemblaient fort à des malédictions.
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Le ballet de la Merlaison
Le lendemain, il n’était bruit dans tout Paris que du bal que MM. les échevins de la ville donnaient au roi et à la reine, et dans lequel Leurs Majestés devaient danser le fameux ballet de la Merlaison, qui était le ballet favori du roi.
Depuis huit jours, on préparait, en effet, toutes choses à l’Hôtel de Ville pour cette solennelle soirée. Le menuisier de la ville avait dressé des échafauds sur lesquels devaient se tenir les dames invitées; l’épicier de la ville avait garni les salles de deux cents flambeaux de cire blanche, ce qui était un luxe inouï pour cette époque; enfin vingt violons avaient été prévenus, et le prix qu’on leur accordait avait été fixé au double du prix ordinaire, attendu, dit ce rapport, qu’ils devaient sonner toute la nuit.
À dix heures du matin, le sieur de La Coste, enseigne des gardes du roi, suivi de deux exempts et de plusieurs archers du corps, vint demander au greffier de la ville, nommé Clément, toutes les clefs des portes, des chambres et bureaux de l’Hôtel. Ces clefs lui furent remises à l’instant même; chacune d’elles portait un billet qui devait servir à la faire reconnaître, et à partir de ce moment le sieur de La Coste fut chargé de la garde de toutes les portes et de toutes les avenues.
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Le rendez-vous
D’Artagnan revint chez lui tout courant, et quoiqu’il fût plus de trois heures du matin, et qu’il eût les plus méchants quartiers de Paris à traverser, il ne fit aucune mauvaise rencontre. On sait qu’il y a un dieu pour les ivrognes et les amoureux.
Il trouva la porte de son allée entrouverte, monta son escalier, et frappa doucement et d’une façon convenue entre lui et son laquais. Planchet, qu’il avait renvoyé deux heures auparavant de l’Hôtel de Ville en lui recommandant de l’attendre, vint lui ouvrir la porte.
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Le pavillon
À neuf heures, d’Artagnan était à l’hôtel des Gardes; il trouva Planchet sous les armes. Le quatrième cheval était arrivé.
Planchet était armé de son mousqueton et d’un pistolet.
D’Artagnan avait son épée et passa deux pistolets à sa ceinture, puis tous deux enfourchèrent chacun un cheval et s’éloignèrent sans bruit. Il faisait nuit close, et personne ne les vit sortir. Planchet se mit à la suite de son maître, et marcha par-derrière à dix pas.
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La maîtresse de Porthos
Au lieu de rentrer chez lui directement, d’Artagnan mit pied à terre à la porte de M. de Tréville, et monta rapidement l’escalier. Cette fois, il était décidé à lui raconter tout ce qui venait de se passer. Sans doute il lui donnerait de bons conseils dans toute cette affaire; puis, comme M. de Tréville voyait presque journellement la reine, il pourrait peut-être tirer de Sa Majesté quelque renseignement sur la pauvre femme à qui l’on faisait sans doute payer son dévouement à sa maîtresse.
M. de Tréville écouta le récit du jeune homme avec une gravité qui prouvait qu’il voyait autre chose, dans toute cette aventure, qu’une intrigue d’amour; puis, quand d’Artagnan eut achevé:
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La thèse d’Aramis
D’Artagnan n’avait rien dit à Porthos de sa blessure ni de sa procureuse. C’était un garçon fort sage que notre Béarnais, si jeune qu’il fût. En conséquence, il avait fait semblant de croire tout ce que lui avait raconté le glorieux mousquetaire, convaincu qu’il n’y a pas d’amitié qui tienne à un secret surpris, surtout quand ce secret intéresse l’orgueil; puis on a toujours une certaine supériorité morale sur ceux dont on sait la vie. Or d’Artagnan, dans ses projets d’intrigue à venir, et décidé qu’il était à faire de ses trois compagnons les instruments de sa fortune, d’Artagnan n’était pas fâché de réunir d’avance dans sa main les fils invisibles à l’aide desquels il comptait les mener.
Cependant, tout le long de la route, une profonde tristesse lui serrait le cœur: il pensait à cette jeune et jolie madame Bonacieux qui devait lui donner le prix de son dévoûment; mais, hâtons-nous de le dire, cette tristesse venait moins chez le jeune homme du regret de son bonheur perdu que de la crainte qu’il éprouvait qu’il n’arrivât malheur à cette pauvre femme. Pour lui, il n’y avait pas de doute, elle était victime d’une vengeance du cardinal et comme on le sait, les vengeances de Son Éminence étaient terribles. Comment avait-il trouvé grâce devant les yeux du ministre, c’est ce qu’il ignorait lui-même et sans doute ce que lui eût révélé M. de Cavois, si le capitaine des gardes l’eût trouvé chez lui.
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La femme d’Athos
— Il reste maintenant à savoir des nouvelles d’Athos, dit d’Artagnan au fringant Aramis, quand il l’eut mis au courant de ce qui s’était passé dans la capitale depuis leur départ, et qu’un excellent dîner leur eut fait oublier à l’un sa thèse, à l’autre sa fatigue.
— Croyez-vous donc qu’il lui soit arrivé malheur ? demanda Aramis. Athos est si froid, si brave et manie si habilement son épée.
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