La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage. Mes pores la buvaient délicieusement Je roulais enivré dans un doux tournoiement; Et toujours j'approchais du ténébreux rivage Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Qu'avais-tu dans l'esprit, maître à la brosse ardente, Pour que sous ton pinceau la nature en fureur Semble jeter au ciel une insulte stridente, Ou frémir dans l'effroi de sa sinistre horreur ?
Car les bois ont aussi leurs jours d'ennui hautain ; Et, las de tordre au vent leurs grands bras séculaires ; S'enveloppent alors d'immobiles colères ; Et leur mépris muet insulte leur destin.
Sous des massifs touffus, au fond désert du parc, La colonnade antique arrondissant son arc, Dans une eau sombre encore à moitié se profile ; Et la fleur que le pampre ou que le lierre exile Parfois brille furtive aux creux des chapiteaux.
Je suis tel qu'un ponton sans vergues et sans mâts, Aventureux débris des trombes tropicales, Et qui flotte, roulant des lingots dans ses cales, Sur une mer sans borne et sous de froids climats.
… Soleil du jardin chaste ! Ève aux longs cheveux d'or ! Toi qui fus le péché, toi qui feras la gloire ! Toi, l'éternel soupir que nous poussons encor ! Ineffable calice où la douleur vient boire !
Comme les hauts piliers des vieilles cathédrales, Ô rêves de mon coeur, vous montez ! Et je vois L'ancien encens encore endormir ses spirales A l'ombre de vos nefs, ô rêves d'autrefois !
Les dieux sont muets, et la vie est triste. Pour nous mordre au coeur, les crocs hérissés, Un noir lévrier nous suit à la piste. Sur les fronts pâlis, sous les yeux baissés, Dans les carrefours que la foule obstrue, Parmi les chansons, les bruits de la rue,
Quand naissent les fleurs au chant des oiseaux Ton étrange voix gravement résonne, Et comme aux échos des forêts d'automne Un pressentiment court jusqu'en mes os.
Couché sur le dos, dans le vert gazon, Je me baigne d'ombre et de quiétude. Mes yeux ont enfin perdu l'habitude Du spectacle humain qui clôt la prison Du vieil horizon.