A J-M De Heredia. La nuit glisse à pas lents sous les feuillages lourds ; Sur les nappes d'eau morte aux reflets métalliques, Ce soir traîne là-bas sa robe de velours ; Et du riche tapis des fleurs mélancoliques, Vers les massifs baignés d'une fine vapeur, Partent de chauds parfums dans l'air pris de torpeur….
Monts superbes, dressez vos pics inaccessibles Sur le cirque brumeux où plongent vos flancs verts ! Métaux, dans le regret des chaleurs impossibles, Durcissez-vous au fond des volcans entr'ouverts !
L'invisible lien, partout dans la nature, Va des sens à l'esprit et des âmes aux corps ; Le choeur universel veut de la créature Le soupir des vaincus ou l'insulte des forts.
Nul rayon, ce matin, n'a pénétré la brume, Et le lâche soleil est monté sans rien voir. Aujourd'hui dans mes yeux nul désir ne s'allume ; Songe au présent, mon âme, et cesse de vouloir.
A Émile Bergerat. Flots qui portiez la vie au seuil obscur des temps, Qui la roulez toujours en embryons flottants Dans le flux et reflux du primitif servage, Eternels escadrons cabrés sur un rivage Ou contre un roc, l'écume au poitrail, flots des mers, Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !…
Comme à travers un triple et magique bandeau, – Ô nuit ! ô solitude ! ô silence ! – mon âme A travers vous, ce soir, près du foyer sans flamme, Regarde par delà les portes du tombeau.
Le soir fait palpiter plus mollement les plantes Autour d'un groupe assis de femmes indolentes Dont les robes, qu'on prend pour d'amples floraisons, A leur blanche harmonie éclairent les gazons. Une ombre par degrés baigne ces formes vagues ; Et sur les bracelets, les colliers et les bagues,