Poésies Victor Segalen

Recueils de poèmes

Stèles

On souffre, on s’agite, on se plaint dans mon Empire. Des
rumeurs montent à la tête. Le sang, comme un peuple irrité,
bat le palais de mes enchantements.

La famine est dans mon coeur. La famine dévore mon coeur :
des êtres naissent à demi, sans âmes, sans forces, issus d’un
trouble sans nom.

Puis on se tait. On attend. Que par un bon vouloir s’abreuvent
de nouveau vie et plénitude.
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Des lointains, des si lointains j’accours, ami, vers toi,
le plus cher. Mes pas ont dépecé l’horrible espace entre nous.

De longtemps nos pensers n’habitaient plus le même instant
du monde : les voici à nouveau sous les mêmes influx, pénétrés
des mêmes rayons.

*
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LES LACS

Les lacs, dans leurs paumes rondes noient le visage du Ciel :

J’ai tourné la sphère pour observer le Ciel.

Les lacs, frappés d’échos fraternels en nombre douze :

J’ai fondu les douze cloches qui fixent les tons musicaux.

*
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Odes

Tu es, tout d’un coup : voici tout ce que tu es :
Ton essence vraie et ta multiple hypostase :
Tes noms ; tes tributs ; l’orbe que ton orbe écrase :
Contemplation qui se résout en extase :

Tu es lourd de science et plus léger que fumée.
Pénétrant et fin comme esprit et les échos.
Tu es riche d’ans : ô Premier né du Chaos.
Tu sais discerner l’imbécile et le héros.
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O fourberie d’une amitié parfaite ! Sonorités sournoises d’un
double écho de l’un à l’autre coeur !

Nous aimions, nous décidions en la même confiance : l’un à
l’autre fidèles en termes plus clairs que le grand ciel sec de
l’hiver.

Las ! le mauvais printemps est venu, et le vent trouble et le
sable en tourmente jaune. J’avais promis,

Je n’ai pas tenu. L’écho s’étouffe. C’est fini. – Ce jour glorieux
d’abandon, ah ! que n’ai-je été dur et sourd et sans paroles !

O générosité fourbe, jade faux blessant au coeur plus que
l’indifférence au coeur de porcelaine !

 

Victor Segalen

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne
choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre bien
alternées.

Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la
plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais
caresse les dalles où le pied pose bien à plat.

Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne
revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-
toi parfois jusqu’à la foule.
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Suis-je ici vraiment ? Suis-je parvenu si haut ?
Paix grande et naïve et splendeur avant-dernière,
Touchant au chaos où le Ciel qui plus n’espère
Se referme et bat comme une ronde paupière.

Comme le noyé affleurant l’autre surface
Mon front nouveau-né vogue sur les horizons.
Je pénètre et vois. Je participe aux raisons.
Je tiens l’empyrée, et j’ai le Ciel pour maisons.

Je jouis à plein bord. De tous mes esprits. J’irrite
Mes sens élargis au-delà des sens, plus vite
Que l’esprit, que l’air. Je me répands sans limites,
J’étends les deux bras : je touche aux deux bouts du Temps.

 

Victor Segalen

La raison ne s’offense pas : certainement une vierge occidentale
a conçu, voici deux mille années, puisque deux mille ans avant
elle, Kiang-yuan, fille sans défaut, devint mère parmi nous :
ayant marché sur l’empreinte du Souverain Roi du Ciel.

Et enfanta aussi légèrement que la brebis son agneau, sans rupture
ni grands efforts. Même le nouveau-né se trouva recueilli par un
oiseau qui d’une aile faisait sa couche et de l’autre l’éventait.
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Si beau, si parfait à l’opposé de l’humain
Que je suis encor, – que nulle de mes paroles
N’atteindra jamais la neuvième des Coupoles
Ni l’espace bas où les lourds génies s’envolent.

Plus haut. Piétinons l’esplanade ordonnancée !
Portons haut le Nombre et les justes tourbillons.
Étreignons le cercle : happons l’azur : assaillons
Plus haut ? sans espoir : il n’y a pas de rayons !
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Chang-Ti ! si pourtant cela était que tu fusses,
Haut Ciel Souverain, Seigneur Ciel au temple clair, –
Qu’on dit étreignant le bol renversé de l’air
De ta majesté d’azur de jade et de fer !Véritablement, si tu tiens ce qu’on proclame :
Étant, voyant tout et partout, et jusque sur
Le toit du Grand Vide, encerclant comme d’un mur
L’Éther spiralé profondément dur et pur.
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