D’un coup d’éventail fut fêlé ;
Le coup dut effleurer à peine :
Aucun bruit ne l’a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D’une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s’est épuisé ;
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.
Mais viendra le jour des adieux ;
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent.
Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l’âme des lointains berceaux.
Stances et poèmes
René-François Sully Prudhomme
Et fouette les hivers,
A l’Air, le dieu léger qui rend les fleurs fécondes
Et sonores les vers,
Salut ! C’est le grand dieu dont la robe flottante
Fait le ciel animé ;
Et c’est le dieu furtif qui murmure à l’amante :
“Voici le bien-aimé.”
C’est lui qui fait courir le long des oriflammes
Les frissons belliqueux,
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Et plein d’astres, la terre est blême.
Et l’àme du monde est dans l’air.
Je rêve à l’étoile suprême,
A celle qu’on n’aperçoit pas,
Mais dont la lumière voyage
Et doit venir jusqu’ici-bas
Enchanter les yeux d’un autre âge.
Quand luira cette étoile, un jour,
La plus belle et la plus lointaine,
Dites-lui qu’elle eut mon amour,
O derniers de la race humaine !
Stances et poèmes
René-François Sully Prudhomme
L'habitude est une étrangère Qui supplante en nous la raison : C'est une ancienne ménagère Qui s'installe dans la maison.
J'ai dans mon coeur, j'ai sous mon front Une âme invisible et présente : Ceux qui doutent la chercheront ; Je la répands pour qu'on la sente.
Ici-bas tous les lilas meurent, Tous les chants des oiseaux sont courts ; Je rêve aux étés qui demeurent Toujours…
Il colorait déjà ma pesante paupière,
Et je dormais encor, mais sa rougeur première
A visité mon âme à travers le sommeil.
Pendant que je gisais immobile, pareil
Aux morts sereins sculptés sur les tombeaux de pierre,
Sous mon front se levaient des pensers de lumière,
Et, sans ouvrir les yeux, j’étais plein de soleil.
Le frais et pur salut des oiseaux à l’aurore,
Confusément perçu, rendait mon coeur sonore,
Mais on cherche parfois celles de son plaisir ;
Je m’éveille parfois l’âme toute sereine,
Sous un charme étranger que je ne peux saisir.
Un ciel rose envahit mon être et ma demeure,
J’aime tout l’univers, et, sans savoir pourquoi,
Je rayonne. Cela ne dure pas une heure,
Et je sens refluer les ténèbres en moi.
D’où viennent ces lueurs de joie instantanées,
Ces paradis ouverts qu’on ne fait qu’entrevoir,
Où le remplira l’échanson,
Au plus léger coup qui l’effleure
Vibre d’un sonore frisson,
Mais pour la fugitive atteinte
N’a plus de soupir cristallin,
Et ne tressaille ni ne tinte
Sans aucun heurt dès qu’il est plein,
Le jeune coeur, vivant calice,
Frémit plaintif au moindre appel,