Que Clothon me filoit entre malade et sain,
Maintenant la santé se logeoit en mon sein,
Tantost la maladie extreme fleau de l’ame.
La goutte ja vieillard me bourrela les veines,
Les muscles et les nerfs, execrable douleur,
Montrant en cent façons par cent diverses peines
Que l’homme n’est sinon le subject de malheur.
L’un meurt en son printemps, l’autre attend la vieillesse,
Le trespas est tout un, les accidens divers :
La trompette a sonné, serre bagage, et va
Le chemin deserté que Jesuchrist trouva,
Quand tout mouillé de sang racheta nostre race.
C’est un chemin facheux borné de peu d’espace,
Tracé de peu de gens que la ronce pava,
Où le chardon poignant ses testes esleva,
Pren courage pourtant, et ne quitte la place.
N’appose point la main à la mansine, apres
Pour ficher ta charue au milieu des guerets,
Détourna d’Helicon les Muses en la France,
Suivant le son du luth et les traits d’Apollon :
Mais peu valut sa Muse encontre l’eguillon
De la mort, qui cruelle en ce tombeau l’enserre.
Son ame soit à Dieu, son corps soit à la terre.
Derniers vers
Pierre de Ronsard
Que la terre engendra d’Encelade les seurs,
Serpentes d’Alecton, et fureur des fureurs,
N’aprochez de mon lict, ou bien tournez plus vitte.
Que fait tant le soleil au gyron d’Amphytrite ?
Leve toy, je languis accablé de douleurs,
Mais ne pouvoir dormir c’est bien de mes malheurs
Le plus grand, qui ma vie et chagrine et despite.
Seize heures pour le moins je meur les yeux ouvers,
Me tournant, me virant de droit et de travers,
Decharné, denervé, demusclé, depoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son filZ deux grans maistres ensemble,
Ne me sçauroient guerir, leur mestier m’a trompé,
Adieu plaisant soleil, mon oeil est estoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se desassemble.
Quel amy me voyant en ce point despouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine,
Et chanter son obseque en la façon du Cygne,
Qui chante son trespas sur les bors Maeandrins.
C’est fait j’ay devidé le cours de mes destins,
J’ay vescu, j’ay rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour estre quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.
Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il estoit, plus heureux qui sejourne
Fait les plus courts de l’an, ou de ton rameau teint
Dans le ruisseau d’Oubly dessus mon front espreint,
Endor mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume.
Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume
A faulte de dormir, plustost sois-je contreint
De me voir par la peste ou par la fievre esteint,
Qui mon sang deseché dans mes veines allume.
Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez
Demy an en voz trous, soubs la terre enfermez,
Donnez moy patience, et me laissez dormir,
Vostre nom seulement, et suer et fremir
Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles.
Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes
Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir
Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,
Souffrant comme Ixion des peines eternelles.
Vieille umbre de la terre, ainçois l’umbre d’enfer,
Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer,
Mignonnelette doucelette,
Treschere hostesse de mon corps,
Tu descens là bas foiblelette,
Pasle, maigrelette, seulette,
Dans le froid Royaume des mors :
Toutesfois simple, sans relors
De meurtre, poison, ou rancune,
Méprisant faveurs et tresors
Tant enviez par la commune.
Passant, j’ay dit, suy ta fortune
Ne trouble mon repos, je dors
Derniers vers
Pierre de Ronsard