Qu’il est rude et malfait. Hé ! Dieu suis-je si tendre
Que je n’y puis durer ? je ne fais que m’étendre,
Et ne sens point venir le Somme accoutumé.
Il est après mi-nuit, je n’ai pas l’oeil fermé,
Et mes membres lassés repos ne peuvent prendre.
Sus Phebus, lève-toi ! ne te fais plus attendre.
Et de tes clairs regards rends le ciel allumé.
Que la nuit m’importune, et m’est dure et contraire !
Mais pourtant c’est en vain, ô Phebus, que j’espère
Qui pour voler au Ciel eut assez de courage :
Ici tomba son corps degarni de plumage,
Laissant tous braves coeurs de sa chute envieux.
Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux,
Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage !
Ô bienheureux malheur, plein de tant d’avantage
Qu’il rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau n’étonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse ;
Loin de tout espoir de secours,
Je m’avance à ma mort prochaine,
Plus chargé d’ennuis que de jours.
Celle qui me brûle en sa glace,
Mon doux fiel, mon mal et mon bien,
Voyant ma mort peinte en ma face,
Feint hélas ! n’y connaître rien.
Comme un roc à l’onde marine
Elle est dure aux flots de mes pleurs :
Par violance a privez d’un beau jour,
Les ombres vont, et font maint et maint tour,
Aimans encor leur dépoüille laissée.
Au lieu cruel, où j’eu l’ame blessée
Et fu meurtri par les flèches d’Amour,
J’erre, je tourne et retourne à l’entour,
Ombre maudite, errante et dechassée.
Legers esprits, plus que moy fortunez,
Comme il vous plaist vous allez et venez
Amour en même instant m'aiguillonne et m'arrête, M'assure et me fait peur, m'ard et me va glaçant, Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant, Me fait victorieux et marche sur ma tête.
Que vous m'allez tourmentant De m'estimer infidèle ! Non, vous n'êtes point plus belle Que je suis ferme et constant.
Hélas ! si tu prens garde aux erreurs que j'ay faites, Je l'advouë, ô Seigneur ! mon martyre est bien doux : Mais, si le sang de Christ a satisfait pour nous, Tu decoches sur moi trop d'ardentes sagettes.
Celui qui n'a point vu le printemps gracieux Quand il étale au ciel sa richesse prisée, Remplissant l'air d'odeurs, les herbes de rosée, Les coeurs d'affections, et de larmes les yeux :
A pas lents et tardifs tout seul je me promène Et mesure en rêvant les plus sauvages lieux ; Et pour n'être aperçu, je choisis de mes yeux Les endroits non frayés d'aucune trace humaine.