Lors que la Mort sa moitié menaçait,
Et tellement l’air de cris remplissait
Que la Mort même à pleurer eut contrainte.
Hélas ! mon Dieu, que sa grâce était sainte !
Que beau son teint, qui les lys effaçait !
Le trait d’Amour cependant me blessait,
Et dans mon âme engravait sa complainte.
L’air en pleurant sa douleur témoigna,
Le beau soleil de pitié s’éloigna,
Mon coeur qui, comme moi, point ne vous laissera.
Plus tôt d’un trait doré Vénus vous blessera,
Plus tôt de vos rigueurs s’amollira la glace !
Ne vous attendez pas qu’aucun malheur le chasse,
Car, auprès de vos yeux, rien ne l’offensera,
Vu que, même en brûlant, assez fier il sera
Qu’autre feu que du ciel n’ait puni son audace.
Traitez-le bien ou mal, je n’en serai touché,
Car pour dire le vrai, c’est un coeur débauché,
Sur une mer de pleurs, à l’abandon des flots
De mille ardents soupirs et de mille sanglots,
Demeurant quinze mois sans voir soleil ni lune.
Je réclamais en vain la faveur de Neptune
Et des astres jumeaux, sourds à tous mes propos,
Car les vents dépités, combattant sans repos,
Avaient juré ma mort sans espérance aucune.
Mon désir trop ardent, que jeunesse abusait,
Sans voile et sans timon la barque conduisait,
Si hors de moi m’étrange et me retire
Que je ne sais si c’est moi qui soupire,
Ni sous quel ciel m’a jeté mon tourment.
Suis-je mort ? Non, j’ai trop de sentiment,
Je suis trop vif et passible au martyre.
Suis-je vivant ? Las ! je ne le puis dire,
Loin de vos yeux par qui j’ai mouvement !
Serait-ce un feu qui me brûle ainsi l’âme ?
Ce n’est point feu : j’eusse éteint toute flamme
Qui servoient de lumiere à mon ame egarée !
Leur divine clairté s’est de moy retirée
Et me laisse esperdu, dolent et soucieux.
C’est en vain désormais, ô grand flambeau des cieux !
Que tu sors au matin de la plaine azurée,
Ma nuict dure tousjours, et la tresse dorée,
Qui sert de jour au monde est obscure à mes yeux.
Mes yeux, helas ! mes yeux, sources de mon dommage,
Vous n’aurez plus de guide en l’amoureux voyage,
Pleines de fruits, d’arbrisseaux et de fleurs ;
De voir ces prés bigarrés de couleurs,
Et l’argent vif des bruyantes fontaines ?
C’est autant d’eau pour reverdir mes peines,
D’huile à ma braise, à mes larmes d’humeurs,
Ne voyant point celle pour qui je meurs,
Cent fois le jour, de cent morts inhumaines.
Lasl que me sert d’être loin de ses yeux
Pour mon salut, si je porte en tous lieux
Toute comble d’oubly, l’hiver à la minuict ;
Un aveugle, un enfant, sans soucy la conduit,
Desireux de la voir sous les eaux renversée.
Elle a pour chaque rame une longue pensée
Coupant, au lieu de l’eau, l’espérance qui fuit ;
Les vents de mes soupirs, effroyables de bruit,
Ont arraché la voile à leur plaisir poussée.
De pleurs une grand’pluie, et l’humide nuage
Des dedains orageux, detendent le cordage ;
Du froid Septentrion et qui, sans reposer,
À cent mille dangers vous allez exposer
Pour un gain incertain, qui vos esprits dévore,
Venez seulement voir la beauté que j’adore,
Et par quelle richesse elle a su m’attiser :
Et je suis sûr qu’après, vous ne pourrez priser
Le plus rare trésor dont l’Afrique se dore.
Voyez les filets d’or de ce chef blondissant,
L’éclat de ces rubis, ce corail rougissant,
Ô Songe heureux et doux ! où fuis-tu si soudain, Laissant à ton départ mon âme désolée ? Ô douce vision, las ! où es-tu volée, Me rendant de tristesse et d'angoisse si plein ?
Quand j'approche de vous, et que je prends l'audace De regarder vos yeux, rois de ma liberté, Une ardeur me saisit, je suis tout agité, Et mille feux ardents en mon coeur prennent place.