Père alme, nourricier de tous les animaux,
Enchanteur gracieux, doux oubli de nos maux,
Et des esprits blessés l’appareil salutaire :
Dieu favorable à tous, pourquoi m’es-tu contraire ?
Pourquoi suis-je tout seul rechargé de travaux,
Or que l’humide nuit guide ses noirs chevaux,
Et que chacun jouit de ta grâce ordinaire ?
Ton silence où est-il ? ton repos et ta paix,
Et ces songes volant comme un nuage épais,
Du temps que je vivais seul roi de mon désir,
Et que mon âme libre errait à son plaisir,
Franche d’espoir, de crainte, et d’amoureuse envie :
Je verse de mes yeux une angoisseuse pluie,
Et sens qu’un fier regret mon esprit vient saisir,
Maudissant le destin qui m’a fait vous choisir,
Pour rendre à tant d’ennuis ma pauvre âme asservie.
Si je lis, si j’écris, si je parle, ou me tais,
Votre oeil me fait la guerre, et ne sens point de paix,
Donnant air à la flamme en ma poitrine enclose,
Je vivais trop heureux ; las ! maintenant je n’ose
Alléger ma douleur d’un soupir seulement.
C’est me poursuivre, Amour, trop rigoureusement !
J’aime, et je suis contraint de feindre une autre chose,
Au fort de mes travaux je dis que je repose,
Et montre en mes ennuis un vrai contentement.
Ô supplice muet, que ta force est terrible !
Mais je me plains à tort de ma gêne invisible,
Voulant voir les beautés que vous avez des cieux ?
Mirez-vous dessus moi pour les connaître mieux,
Et voyez de quels traits votre bel oeil m’enferre.
Un vieux chêne ou un pin renversés contre terre
Montrent combien le vent est grand et furieux,
Aussi vous connaîtrez le pouvoir de vos yeux,
Voyant par quels efforts vous me faites la guerre.
Ma mort de vos beautés vous doit bien assurer,
Joint que vous ne pouvez sans péril vous mirer :
Pour immoler à une, hélas ! qui n’en fait conté !
Ô mes vers douloureux, les courriers de ma honte,
Dont le cruel Amour ne fut jamais touché !
Ô mon teint pâlissant, devant l’âge séché
Par la froide rigueur de celle qui me dompte !
Ô désirs trop ardents d’une jeunesse prompte !
Ô mes yeux dont sans cesse un fleuve est épanché !
Ô pensers trop pensés, qui rebellez mon âme !
Ô débile raison, ô lacs, ô traits, ô flamme,
Que sa belle entreprise a fait si glorieux,
Ayant d’un vol nouveau pris la route des dieux,
Et sur tous les mortels sa poursuite haussée.
Emporté tout ainsi de ma haute pensée
Je vole aventureux aux soleils de vos yeux,
Et vois mille beautés qui m’élèvent aux cieux
Et me font oublier toute peine passée.
Mais, hélas ! je n’ai pas le bouclier renommé
Dont contre tous périls Vulcain l’avait armé,
Qu’il est rude et malfait. Hé ! Dieu suis-je si tendre
Que je n’y puis durer ? je ne fais que m’étendre,
Et ne sens point venir le Somme accoutumé.
Il est après mi-nuit, je n’ai pas l’oeil fermé,
Et mes membres lassés repos ne peuvent prendre.
Sus Phebus, lève-toi ! ne te fais plus attendre.
Et de tes clairs regards rends le ciel allumé.
Que la nuit m’importune, et m’est dure et contraire !
Mais pourtant c’est en vain, ô Phebus, que j’espère
Qui pour voler au Ciel eut assez de courage :
Ici tomba son corps degarni de plumage,
Laissant tous braves coeurs de sa chute envieux.
Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux,
Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage !
Ô bienheureux malheur, plein de tant d’avantage
Qu’il rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau n’étonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse ;
Loin de tout espoir de secours,
Je m’avance à ma mort prochaine,
Plus chargé d’ennuis que de jours.
Celle qui me brûle en sa glace,
Mon doux fiel, mon mal et mon bien,
Voyant ma mort peinte en ma face,
Feint hélas ! n’y connaître rien.
Comme un roc à l’onde marine
Elle est dure aux flots de mes pleurs :
Par violance a privez d’un beau jour,
Les ombres vont, et font maint et maint tour,
Aimans encor leur dépoüille laissée.
Au lieu cruel, où j’eu l’ame blessée
Et fu meurtri par les flèches d’Amour,
J’erre, je tourne et retourne à l’entour,
Ombre maudite, errante et dechassée.
Legers esprits, plus que moy fortunez,
Comme il vous plaist vous allez et venez