Aurai-je un jour réponse à tout
Et réponse à personne
La vérité c’est que j’aimais
Et la vérité c’est que j’aime
De jour en jour l’amour me prend première
Pas de regrets j’ignore tout d’hier
Je ne ferai pas de progrès
Sur une autre bouche
Le temps me prendrait première
Je serai la première et la seule sans cesse
Il n’y a pas de drame il n’y a que mes yeux
Qu’un songe tient ouvert
Et je suis mon bonheur nocturne
Tout les mots sont d’accord
L’on m’aimera car j’aime par-dessus tout ordre
Et je suis prêt à tout pour l’avenir de tous
Et je ne connais rien à l’avenir
Mais j’aime pour aimer et je mourrai d’amour
À chanter les plages humaines
Pour toi la vivante que j’aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n’ont envie que de s’aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai par me retrouver
Nous prendrons possession du monde
Rien à haïr et rien à pardonner
Aucun destin n’illustre notre front
Dans l’orage notre faiblesse
Est l’aiguille la plus sensible
Et la raison de l’orage
Image ô contact parfait
L’espace est notre milieu
Et le temps notre horizon
Je rends compte du réel
Je prends garde à mes paroles
Je ne veux pas me tromper
Je veux savoir d’où je pars
Pour conserver tant d’espoir
Mes origines sont les larmes
Et la fatigue et la douleur
Et le moins de beauté
Et le moins de bonté
Et la femme que je protège
La femme dont j’assume
L’éternelle confiance
D’une main composée pour moi
Et qu’elle soit faible qu’importe
Cette main double la mienne
Pour tout lier tout délivrer
Pour m’endormir pour m’éveiller
D’un baiser la nuit des grands rapports humains
Un corps auprès d’un autre corps
La nuit des grands rapports terrestres
la nuit native de ta bouche
La nuit où rien ne se sépare
Que ma parole pèse sur la nuit qui passe
Et que s’ouvre toujours la porte par laquelle
Tu es entrée dans ce poème
Porte de ton sourire et porte de ton corps
Par toi je vais de la lumière à la lumière
De la chaleur à la chaleur
C’est par toi que je parle et tu restes au centre
De tout comme un soleil consentant au bonheur
Nous ne sommes seuls qu’ensemble
Nos amours se contredisent
Nous exigeons tout de rien
L’exception devient banale.
Nous deux toi toute nue
Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang
Et moi les mains ouvertes
Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles
À la vie
Entre les horizons volages
Qui font et défont sa beauté.
La forêt couvre ses épaules
Sa chevelure silencieuse
D’un seul bruit d’ailes d’un seul chant
Moisson d’espace
Ton ombre reprenait le chemin de ton corps
Je vois la ville de ton rêve
Que tu seras seule à peupler
Du tourbillon de ta beauté
Le paysage prolongeait
Nos paroles et nos gestes
L’allée s’en allait de nous
Les arbres nous grandissaient
Et nous calmions les rochers
Je suis avec toutes les bêtes
Pur m’oublier parmi les hommes
Nous avons eu huit ans nous avons eu quinze ans
Et nous avons vieilli noirci l’aube de la vie
Les hommes et les femmes que nous n’aimions pas
Nous n’y pensons jamais ils ne faisaient pas d’ombre
Mais nous avons vieilli le gouffre s’est peuplé
Nous avons reproduit un avenir d’adultes
La présence a pour moi les traits de ce que j’aime
C’est là tout mon secret ce que j’aime vivra
Entre moi toi et ma multitude
Puisque je suis à jamais ton miroir
Ma figurée
Les rues vont loin qui passent par nos villes
Loin dans les champs où l’on avance
Avec l’amour avec la vie avec le jour
Entre en moi toi toujours meilleure
Toujours semblable à mes désirs
Illimitée et torturée et rassurée
Captifs d’un seul moment un moment nous délivre
Le temps des amoureux qui passeront le pont
Que nous avons passé avant de nous connaître
Les flots de l’avenir les séparent encore
Mais leur lèvre a la courbe d’un seul mot je t’aime
Leurs mains sont la promesse d’une main doublée
Entre en moi toi ma paresseuse ma berceuse
Je n’ai pas de secrets pour toi
Avec toi je n’ignore rien
Tu es faite pour tout savoir
Je te dis tout au tableau noir
De mon passé de ma jeunesse
Je suis né comme une défaite
Je n’avais pour but que l’enfance
Le fait de commencer n’est qu’une illusion
Il fallait que je dise tout ce que j’ai dit
Car je viens de moins loin qu’où mes frères iront
Et je veux me survivre
Je veux mourir et vivre par un mot sans bornes
Ce premier mot c’est toi
Toi telle que tu es inaugurant mon ordre
Toi qui joins tout ce qui est vrai
Ma bien-aimée ma bien-aimante
Semblable aux saisons sans regrets
Toi qui me permets d’échapper
À la facilité de vivre
Par des mensonges même au nom de la vertu
Même au nom de la vérité
L’horizon borde mes paupières
Par quel miracle aurais-je peur
Il nous suffit d’être chacun pour être tous
D’être soi-même pour nous sentir nous
D’être sages pour être fous
Et d’être fous pour être sages
D’une caresse au seuil de notre nudité
L’univers s’impose subtil
Nous sommes l’un et l’autre au jour
Pour n’en jamais finir d’aimer
Poésie ininterrompue
Paul Éluard