Poésie Joachim Du Bellay

Recueils de poèmes

Les Regrets

Vivons, Gordes, vivons, vivons, et pour le bruit
Des vieillards ne laissons à faire bonne chère:
Vivons, puisque la vie est si courte et si chère,
Et que même les rois n’en ont que l’usufruit.

Le jour s’éteint au soir, et au matin reluit,
Et les saisons refont leur course coutumière:
Mais quand l’homme a perdu cette douce lumière,
La mort lui fait dormir une éternelle nuit.
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Si les larmes servaient de remède au malheur,
Et le pleurer pouvait la tristesse arrêter,
On devrait, Seigneur mien, les larmes acheter,
Et ne se trouverait rien si cher que le pleur.

Mais les pleurs en effet sont de nulle valeur:
Car soit qu’on ne se veuille en pleurant tourmenter,
Ou soit que nuit et jour on veuille lamenter,
On ne peut divertir le cours de la douleur.
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Mauny, prenons en gré la mauvaise fortune,
Puisque nul ne se peut de la bonne assurer,
Et que de la mauvaise on peut bien espérer,
Etant son naturel de n’être jamais une.

Le sage nocher craint la faveur de Neptune,
Sachant que le beau temps longtemps ne peut durer:
Et ne vaut-il pas mieux quelque orage endurer,
Que d’avoir toujours peur de la mer importune?
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Sortons, Dilliers, sortons, faisons place à l’envie,
Et fuyons désormais ce tumulte civil,
Puisqu’on y voit priser le plus lâche et plus vil,
Et la meilleure part être la moins suivie.

Allons où la vertu et le sort nous convie,
Dussions-nous voir le Scythe ou la source du Nil,
Et nous donnons plutôt un éternel exil,
Que tacher d’un seul point l’honneur de notre vie.
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Si après quarante ans de fidèle service
Que celui que je sers a fait en divers lieux,
Employant, libéral, tout son plus et son mieux
Aux affaires qui sont de plus digne exercice,

D’un haineux étranger l’envieuse malice
Exerce contre lui son courage odieux,
Et sans avoir souci des hommes ni des dieux,
Oppose à la vertu l’ignorance et le vice,

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O combien est heureux qui n’est contraint de feindre,
Ce que la vérité le contraint de penser,
Et à qui le respect d’un qu’on n’ose offenser
Ne peut la liberté de sa plume contraindre!

Las, pourquoi de ce noeud sens-je la mienne éteindre,
Quand mes justes regrets je cuide commencer?
Et pourquoi ne se peut mon âme dispenser
De ne sentir son mal ou de s’en pouvoir plaindre?
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Si onques de pitié ton âme fut atteinte,
Voyant indignement ton ami tourmenté,
Et si onques tes yeux ont expérimenté
Les poignants aiguillons d’une douleur non feinte,

Vois la mienne en ces vers sans artifice peinte,
Comme sans artifice est ma simplicité:
Et si pour moi tu n’es à pleurer incité,
Ne te ris pour le moins des soupirs de ma plainte.
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Si par peine et sueur et par fidélité,
Par humble servitude et longue patience,
Employer corps et biens, esprit et conscience,
Et du tout mépriser sa propre utilité,

Si pour n’avoir jamais par importunité
Demandé bénéfice ou autre récompense,
On se doit enrichir, j’aurai (comme je pense)
Quelque bien à la fin, car je l’ai mérité.
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O marâtre nature (et marâtre es-tu bien,
De ne m’avoir plus sage ou plus heureux fait naître),
Pourquoi ne m’as-tu fait de moi-même le maître,
Pour suivre ma raison et vivre du tout mien?

Je vois les deux chemins, et ce mal, et de bien:
Je sais que la vertu m’appelle à la main dextre,
Et toutefois il faut que je tourne à senestre,
Pour suivre un traître espoir, qui m’a fait du tout sien.
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Si pour avoir passé sans crime sa jeunesse,
Si pour n’avoir d’usure enrichi sa maison,
Si pour n’avoir commis homicide ou traïson,
Si pour n’avoir usé de mauvaise finesse,

Si pour n’avoir jamais violé sa promesse,
On se doit réjouir en l’arrière-saison,
Je dois à l’avenir, si j’ai quelque raison,
D’un grand contentement consoler ma vieillesse.
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