Se devaler de son cercle congneu,
Vers le pasteur d’un long sommeil tenu
Dessus le mont, qui la Carie honore:Et qui a veu sortir la belle Aurore
Du jaulne lict de son espoux chenu
Lors que le ciel encor’ tout pur et nu
De mainte rose indique se colore:Celuy a veu encores (ce me semble)
Non point les lyz et les roses ensemble,
M’en soient tesmoings) suyvant ma souvereine,
Naistre les fleurs de l’infertile arene
Après ses pas dignes d’estre adorez.Phebus honteux ses cheveulx honorez
Cacher alors que les vents par la plaine
Eparpilloient de leur souëfve halaine
Ceulx là, qui sont de fin or colorez.
Puis s’en voler de chascun oeil d’icelle
Jusques au ciel une vive etincelle,
Cestuy le corps, l’autre le blanc ivoire
De l’estommac, l’autre eternelle gloire
Aux yeux archers par ses vers donnera.Comme une fleur tout cela perira:
Mais en esprit, en faconde, et memoire,
Quand l’aage aura sur la beauté victoire,
Mieux que devant Madame florira.
Que si en moy le souverain donneur
Pour tel subject heureusement poursuyvre
Lisippe, Apelle, Homere, qui le pris
Ont emporté sur tous humains espris
En la statue, au tableau, et au livre.Pour engraver, tirer, decrire, en cuyvre,
Peinture, et vers, ce qu’en vous est compris,
Si ne pouroient leur ouvraige entrepris
Cyzeau, pinceau, ou la plume bien suyvre.
Voilà pourquoy ne fault, que je souhete
De l’engraveur, du peintre, ou du poëte,
A vous aymer, digne object de celuy,
Par qui Achille est encor’ aujourdhuy
Contre les Grecz pour s’amye obstiné,Pourquoy aussi n’avoient-ilz ordonné
Renaitre en moy l’ame, et l’esprit de luy?
Par maintz beaux vers tesmoings de mon ennuy
Je leur rendroy’, ce qu’ilz vous ont donné.
Helas Nature, au moins puis que les cieux
M’ont denié leurs liberalitez,
N’admirent tant parmy sa troupe saincte
Dyane, alors que le chault l’a contrainte
De pardonner aux bestes fugitives,Que tes beautez, dont les autres tu prives
De leurs honneurs, non sans envie mainte
Veu que tu rends toute lumiere etainte
Par la clarté de deux etoiles vives.
Les demydieux, et les nymphes des bois
Par l’epesseur des forestz chevelues
Amour avecq’ sa torche acoustumée
Dedans mon coeur a si bien allumée,
Que je la sen au plus profond de l’ame!Combien le ciel favorable je clame,
Combien Amour, combien ma destinée,
Qui en ce point ma vie ont terminée
Par le torment d’une si doulce flamme!Qu’en moy (Amour) ne durent tes doulx feux,
Je ne le puys et pouvoir ne le veulx
Voire le ciel, et la nature, et l’art,
Depent le frein, qui en plus d’une part
A son plaisir et m’arreste et me vire,Pourquoy sont-ilz armez d’orgueil et d’ire?
Pourquoy s’esteint ce doulx feu, qui en part?
Pourquoy la main, qui le coeur me depart,
Cache ces retz, liens de mon martire?
O belle main! ô beaux cheveux dorez!
O clers flambeaux dignes d’estre adorez!
Et qui errant entre rochiers et bois
Avecques moy, m’as semblé maintesfoys
Avoir pitié de mes tristes douleurs.Voix qui tes plainz mesles à mes clameurs,
Mon dueil au tien, si appeller tu m’oys
Olive Olive: et Olive est ta voix,
Et m’est avis qu’avecques moy tu meurs.
Seule je t’ay pitoyable trouvée.
O noble Nymphe! en qui (peult estre) encores
Joachim du Bellay
Joachim du Bellay est un poète français de la Renaissance. Il est né en 1522 à Liré, en Anjou, et est décédé le 1er janvier 1560 à Paris. Les Regrets est son recueil le plus célèbre, il est sous forme de sonnets d’inspiration élégiaque et satirique qui fut écrit lors de son voyage à Rome de 1553 à 1557.