Poésie Joachim Du Bellay

Recueils de poèmes

Les Regrets

Douce mère d’amour, gaillarde Cyprienne,
Qui fais sous ton pouvoir tout pouvoir se ranger,
Et qui des bords de Xanthe à ce bord étranger
Guidas avec ton fils ta gent dardanienne,

Si je retourne en France, ô mère idalienne,
Comme je vins ci, sans tomber au danger
De voir ma vieille peau en autre peau changer,
Et ma barbe française en barbe italienne,

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Voici le carnaval, menons chacun la sienne,
Allons baller en masque, allons nous promener,
Allons voir Marc Antoine ou bouffonner
Avec son Magnifique à la vénitienne:Voyons courir le pal à la mode ancienne,
Et voyons par le nez le sot buffle mener:

Voyons le fier taureau d’armes environner,
Et voyons au combat l’adresse italienne:

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Fuyons, Dilliers, fuyons cette cruelle terre,
Fuyons ce bord avare et ce peuple inhumain,
Que des dieux irrités la vengeresse main
Ne nous accable encor sous un même tonnerre.

Mars est désenchaîné, le temple de la guerre
Est ouvert à ce coup, le grand prêtre romain
Veut foudroyer là-bas l’hérétique Germain
Et l’Espagnol marran, ennemis de saint Pierre.

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Qui niera, Gillebert, s’il ne veut résister
Au jugement commun, que le siège de Pierre
Qu’on peut dire à bon droit un paradis en terre,
Aussi bien que le ciel, n’ait son grand Jupiter?

Les Grecs nous ont fait l’un sur Olympe habiter,
Dont souvent dessus nous ses foudres il desserre:
L’autre du Vatican délâche son tonnerre,
Quand quelque roi l’a fait contre lui dépiter.

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O que tu es heureux, si tu connais ton heur,
D’être échappé des mains de cette gent cruelle,
Qui sous un faux semblant d’amitié mutuelle
Nous dérobe le bien, et la vie, et l’honneur!

Où tu es, mon Dagaut, la secrète rancoeur,
Le soin qui comme une hydre en nous se renouvelle,
L’avarice, l’envie, et la haine immortelle
Du chétif courtisan n’empoisonnent le coeur.

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Avoir vu dévaler une triple montagne,
Apparoir une biche et disparoir soudain,
Et dessus le tombeau d’un empereur romain
Une vieille carafe élever pour enseigne:

Ne voir qu’entrer soldats et sortir en campagne,
Emprisonner seigneurs pour un crime incertain,
Retourner forussiz et le Napolitain
Commander en son rang à l’orgueil de l’Espagne:

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Brusquet à son retour vous racontera, Sire,
De ces rouges prélats la pompeuse apparence,
Leurs mules, leurs habits, leur longue révérence,
Qui se peut beaucoup mieux représenter que dire.

Il vous racontera, s’il les sait bien décrire,
Les moeurs de cette cour, et quelle différence
Se voit de ces grandeurs à la grandeur de France,
Et mille autres bons points, qui sont dignes de rire.

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Où que je tourne l’oeil, soit vers le Capitole,
Vers les bains d’Antonin ou Dioclétien.
Et si quelque oeuvre encor dure plus ancien
De la porte Saint-Paul jusques à Ponte-mole:

Je déteste à part moi ce vieux faucheur, qui vole,
Et le ciel, qui ce tout a réduit en un rien:
Puis songeant que chacun peut répéter le sien,
Je me blâme, et connais que ma complainte est folle.

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De voir mignon du roi un courtisan honnête,
Voir un pauvre cadet l’ordre au col soutenir,
Un petit compagnon aux états parvenir,
Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire fête.

Mais voir un estafier, un enfant, une bête,
Un forfant, un poltron cardinal devenir,
Et pour avoir bien su un singe entretenir
Un Ganymède avoir le rouge sur la tête:

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Si fruits, raisins et blés, et autres telles choses,
Ont leur tronc, et leur cep, et leur semence aussi,
Et s’on voit au retour du printemps adouci
Naître de toutes parts violettes et roses;

Ni fruits, raisins, ni blés, ni fleurettes décloses
Sortiront, viateur, du corps qui gît ici:
Aulx, oignons, et porreaux, et ce qui fleure ainsi,
Auront ici dessous leurs semences encloses.

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