Poésie Jean Moréas

Les Syrtes

  Ce jour-là, les flots bleus susurreront plus bleus Le long des côtes blanches, Et du soleil frileux, les rayons plus frileux Se joueront dans les branches.

  Nous marchions nous tenant par la main, dans la rue Où sous les becs de gaz se heurte la cohue. Sous les jasmins en fleur qui bordent le chemin, A l' ombre nous marchions, nous tenant par la main. Et ma joie est fanée avec le blanc jasmin. Sa voix, perlant tout bas ses…

  Ne ternis pas de pleurs les mystiques prunelles De tes grands yeux navrés, striés d' or et d' agate ; Laisse-la t' emporter, la berceuse frégate, Par les immensités des vagues solennelles.

  Rouges comme un fer de forge Ou le taureau qu' on égorge, Sous les regrets assassins Nos coeurs saignent dans nos seins.

  Bientôt viendra la neige au blanc manteau d' hermine ; Dans les parcs défeuillés, sous le ciel morne et gris, Sur leurs socles, parmi les boulingrins flétris, Les priapes frileux feront bien triste mine.

  Dans les jardins mouillés, parmi les vertes branches, Scintille la splendeur des belles roses blanches. La chenille striée et les noirs moucherons Insultent vainement la neige de leurs fronts : Car, lorsque vient la nuit traînant de larges voiles, Que s' allument au ciel les premières étoiles,

  Mon coeur est un cercueil vide dans une tombe ; Mon âme est un manoir hanté par les corbeaux. Ton coeur est un jardin plein des lis les plus beaux ; Ton âme est blanche ainsi que la blanche colombe.

  Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs, Un amour au front pâle orné d' une couronne De roses dont la pluie a terni les couleurs, Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs.

  La lune se mirait dans le lac taciturne, Pâle comme un grand lis, pleine de nonchaloirs. Quel lutin nous versait les philtres de son urne ? – La brise sanglotait parmi les arbres noirs…

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