Poésie Jean Moréas

Les Stances Livre 2

Muse, comment sais-tu de ces heures sinistres
Tisser un jour vermeil,
Comment à l’ unisson fais-tu sonner les sistres
Dans un discord pareil ?

Ah ! Sur ton Pinde encor se peut-il que je sache
Me frayer un chemin,
Et ton laurier sacré, faut-il que je l’ arrache
De cette impure main ?

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Beaux présents que la muse, hélas ! M’ accorde encore,
O mes vers, autrefois
Vous étiez, au jardin, la fleur qui vient d’ éclore
Et l’ oiseau dans les bois ;

Vous étiez le ruisseau quand le soleil l’ égaie
Et s’ en fait un miroir.
Et maintenant, mes vers, d’ une mortelle plaie
Vous êtes le sang noir !

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Nuages qu’ un beau jour à présent environne,
Au-dessus de ces champs de jeune blé couverts,
Vous qui m’ apparaissez sur l’ azur monotone,
Semblables aux voiliers sur le calme des mers ;

Vous qui devez bientôt, ayant la sombre face
De l’ orage prochain, passer sous le ciel bas,
Mon coeur vous accompagne, ô coureurs de l’ espace !
Mon coeur qui vous ressemble et qu’ on ne connaît pas.

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Lierre, que tu revêts de grâce bucolique
Les ruines des monuments !
Et tu me plais encor sur le platane antique
Qu’ étouffent tes embrassements.Mais je t’ aime surtout, sombre et sinistre lierre,
A quelque fontaine pendu,
Et laissant l’ eau couler, plaintive, dans la pierre
D’ un bassin que l’ âge a fendu.

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Eau printanière, pluie harmonieuse et douce
Autant qu’ une rigole à travers le verger
Et plus que l’ arrosoir balancé sur la mousse,
Comme tu prends mon coeur dans ton réseau léger !

A ma fenêtre, ou bien sous le hangar des routes
Où je cherche un abri, de quel bonheur secret
Viens-tu mêler ma peine, et dans tes belles gouttes
Quel est ce souvenir et cet ancien regret ?

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Esprit astucieux, adorable puissance,
Qui sans cesse guides ma main
Sur la corde sonore et nargues l’ innocence
De mon entendement humain,

Ah ! Ne te lasse point d’ éclairer les ténèbres
De ma vie au sombre détour,
Et de faire germer dans ses fentes funèbres
Ces fleurs plus belles que le jour.

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Palinure au grand coeur, le pilote d’ énée,
Qui, prudent, d’ un fort bras
Guidait le gouvernail, subit la destinée
Que l’ on n’ évite pas.

Instrument de la haine, un repos exécrable
Lui vint tromper les yeux,
Et, déjà près du port, il périt, misérable,
Dans les flots tortueux.

Et moi, lorsque le Pinde et les neuf soeurs ensemble
Ont mes voeux couronnés,
Lorsque je touche au ciel, faut-il que je ressemble
Aux plus abandonnés !

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Donc, vous allez fleurir encor, charmants parterres !
Déjà se courbent en arceaux
Et s’ emplissent de bruit dans les vieux cimetières
Les arbres gardiens des tombeaux.
Couvrez d’ un tendre vert, arbres, vos branches fortes :
Quand viendra l’ autan détesté,
Il lui faudra tout l’ or des belles feuilles mortes
Pour en rehausser sa beauté.

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

Avril sourit, déjà plus douces me retiennent
Les rudes mailles du destin,
Et de riants pensers à présent me reviennent
Comme les feuilles au jardin.

Eh quoi ! Ce peu de miel dans la dernière goutte
Me serait-il enfin permis,
O sombre vie ? Hélas ! Si c’ est la peine toute,
Sommes-nous pas de vieux amis ?

 

Les Stances Livre 2

Jean Moréas

De ce tardif avril, rameaux, verte lumière, Lorsque vous frissonnez, Je songe aux amoureux, je songe à la poussière Des morts abandonnés.

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